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1952 ou comment Mercedes entre dans la lumière du soleil mexicain

Pour la troisième édition de la course, des catégories vont être créées : une pour les fameuses et lourdes américaines Stock Cars qui revendiquaient l’hégémonie, une autre pour les voitures de courses déclarées comme telles et une dernière pour les voitures de tourisme. On définira 4 catégories en 1953 et 5 en 1954. Cela signifiait aussi une multiplication des vainqueurs pour chaque étape et une gestion plus lourde des résultats. On peut imaginer que si la course avait perduré, d’autres catégories eussent été admises comme les deux roues de moins de 500 cm3 et au-delà, une catégorie pour les buggies par exemple.
En trois ans d’existence, la Panamericana était devenue une des compétitions sur route ouverte parmi les plus importantes, avec ses spécificités liées à l’altitude, au climat et à la qualité des routes. On n’hésitait pas à la comparer au Mans avec lequel elle n’avait néanmoins pas grand-chose à voir il faut bien le reconnaître, épreuve se déroulant sur un circuit où les compétiteurs peuvent bénéficier d’une assistance rapide et efficace, avec un tracé répertorié connu par tous avec précision.
Il en était tout autrement au Mexique où chaque kilomètre supplémentaire représentait un nouveau challenge pour les concurrents. Un assortiment d’oiseaux et de quadrupèdes divers et variés pouvant surgir de nulle part exigeait une surveillance de tous les instants, auxquels s’ajoutait l’épreuve de la chaleur et du vent pour les hommes et les machines. Les équipes d’assistance, leur travail terminé, devaient plier bagage sans attendre et rejoindre l’étape suivante dans la nuit, s’accorder de petites heures de sommeil avant de reprendre leur activité.
La catégorie « voiture de course » était ouverte à toute voiture comportant deux places assises, construite entre 1949 et 1952. Pendant l’épreuve, seuls le pilote et le co-pilote pouvaient intervenir sur la mécanique. Après chaque étape, l’assistance intervenait sans limite de temps. La Carrera, devenue une épreuve du championnat du monde à part entière drainait désormais des capitaux, des équipes d’usine et des pilotes célèbres et tout ce monde imaginait les moyens à mettre en œuvre pour en venir à bout.
En 1952, Daimler Benz va faire son premier grand retour sur la scène de la compétition sportive d’après-guerre. Bien que les usines de production aient été fortement endommagées  par les bombardements, la marque est capable en 1952 de créer une sportive à partir de son stock de pièces de sa Mercedes 300, au prix de quelques aménagements et en particulier l’ouverture des portes. Baptisée 300 SL, elle fut immédiatement surnommée « Gullwing » en raison de ses portes « papillon » caractéristiques.

Mercedes 300 SL Gullwing

Les trois premiers prototypes participent aux Mille Miglia en Mai 1952. Karl Kling arrive second derrière Giovanni Bracco sur Ferrari. Deux semaines plus tard à Berne, Kling, Lang et Fritz Reiss raflent les trois premières places. Pour le Mans, trois prototypes  sont fabriqués et on assiste à la victoire de Lang et de Reiss tandis que Theo Helfrich et Norbert Niedermayer arrivent seconds, Kling et Hans Klenk contraints d’abandonner à la neuvième heure de course. Pour la quatrième sortie, quatre voitures incluant une version roadster courent au Nürburgring avec succès.

Hans Klenk
300 SL

Le nouveau modèle sportif avait conquis 9 victoires sur 12 podiums en seulement 4 épreuves. On monta alors une écurie composée de 3 voitures pour la Panamericana sur la demande de Prat Motors, importateur Mercedes mexicain. S’ensuivit une préparation minutieuse. Les pilotes durent parcourir chaque kilomètre à plusieurs reprises avec des 200 et 300 sedan empruntées puis avec une voiture d’entraînement : plus de 11000 kilomètres de reconnaissance. Ainsi chaque pilote vécut la course plusieurs fois et savait à peu près à quoi s’attendre. Le team manager Alfred Neubaer affréta deux Douglas DC3 pour transporter son équipe d’un point à un autre et il dira plus tard que bien qu’il se sentit préparé grâce à ces dispositifs, il doublerait les ressources humaines et les équipements s’il devait refaire la course. 
En revanche, l’équipe Ferrari  arriva au Mexique à peine quelques jours avant le départ. Les voitures étaient d’une nouvelle conception qui définirait le style Ferrari pour les années à venir. On construisit trois Coupés tout spécialement pour la Carrera : la 340 Mexico. Une voiture capable de passer de 0 à 96 km/h en 6 secondes, avec une vitesse maximale de 280 km/h. La team de Franco Cornacchia est chargée de la mise au point et les voitures vont être pilotées par trois pilotes chevronnés : Alberto Ascari vainqueur de la seconde édition avec le chassis 0226AT, le chassis 0222AT piloté par Luigi Villoresi vainqueur des Mille Miglia en 1951 et Nino Cassani, mécanicien. Et la 0224AT est pilotée par Luigi Chenetti et Jean Lucas. L’américain Bill Speer devait piloter une 340 Spyder mais dû abandonner le projet à la dernière minute. Giovanni Bracco pilotait la voiture avec laquelle il avait battu la Mercedes de Karl Kling aux Mille Miglia en Avril, un 250S coupé. Les deux Ferrari gagnantes de 1951 repeintes en bleu étaient conduites par Pablo Aguilar et Paco Iberra. L’amateur Phil Hill accompagné d’Arnold Stubbs pilotait une 212 propriété du texan Allen Guilberson. 

Ferrari
Ferrari 212

Au départ on trouve aussi deux jaguars XK120s conduites par Santos Leona et Douglas Ehlinger aux faibles chances d’inscrire la marque dans un palmarès. Jean Behra et Robert Manzon pilotent deux Gordini T15 S. On inscrit aussi deux Porsche 356 pilotées par le Prince Furst Metternich et Graf von Berckheim tandis que Umberto Maglioli et Felice Bonetto sont au volant d’une Lancia B20 GT Aurelia.

Jean Behra

Ensuite, on trouve des voitures préparées par leurs propriétaires de façon un peu surprenantes, une Cadillac de 1947 et de 1949, une Mercury de 1940 dans un châssis de Lincoln.

Mercury


Le gouvernement mexicain ayant décidé de réduire les dépenses de la course avait exigé des équipes le règlement de l’huile et de l’essence dès le départ. Vingt-sept voitures de sport partirent de Tuxtla Gutierrez à 7 heures du matin et  très vite au bout de quelques kilomètres, le show débute : la Gordini de Robert Manzon casse un essieu à l’arrière, Ascari rate un virage et abîme sa Ferrari, Bonetto ne fait pas mieux et continue malgré tout la course ; Herman Lang heurte un chien et endommage sérieusement sa 300 SL. Kling croise le vol d’une buse qui brise son pare-brise et étourdit son coéquipier qui n’avait pas remis son casque après un changement de pneu. Le trou dans le pare-brise créa une telle pression que la vitre arrière fut éjectée. Le lendemain, les trois Mercedes apparurent parées de barres anti-buses, des tubes verticaux couvrant le pare-brise. Les photos des voitures ainsi protégées firent le tour du monde et on fit remarquer avec une certaine ironie qu’heurter un oiseau était chose courante et difficilement contournable étant donné la vitesse de course qui ne permettait pas aux gros oiseaux de s’échapper suffisamment vite pour éviter la collision … à 225 km/h.

Ferrari Ascari
Accident de buse
Karl Klink

Kling et John Fitch furent victimes de crevaisons et durent s’arrêter avant d’atteindre le dépôt de pneus disposé le long du tracé. La marque Continental avait envoyé des pneus avec une bande de roulement épaisse, qui se révéla désastreuse dans la montagne. Ferrari avait expérimenté le même problème l’année précédente avec Pirelli. Mais cette année, le problème était ailleurs, les Ferrari souffrant de vibrations dans les trains. 
La première étape ne ressembla donc à rien de connu dans le monde des courses automobiles d’endurance. Dix-neuf voitures arrivèrent à Oaxaca avec en tête un Jean Behra dans sa Gordini devant Giovanni Bracco et la première Ferrari. Behra améliorait sa moyenne de 16 km/h en dépit de trois arrêts pour les pneus et un pour des réparations après avoir croisé un buse. Kling était troisième, Fitch et Lang septième et huitième avec leur Mercedes, Umberto Maglioli quatrième avec sa Lancia, la seule en lice.

Jean Behra

 

Jean Behra

A la deuxième étape, le pire, à savoir la pierre ponce qui servait de revêtement, était passé mais les virages devenaient plus délicats et la montage s’annonçait difficile. En particulier, un problème se posa dans le petit village d’Acatlan dont la rue principale avait été fermée au passage des voitures afin que celles-ci ne déchirent pas la surface meuble de la voie. Les pilotes s’approchèrent prudemment mais en raison des signaux nerveux de la police locale dans le centre ville, à l’endroit où la rue étroite dessinait un virage frôlant dangereusement les habitations, on vit les voiture les unes après les autres glisser et venir s’abîmer sur les bas-côtés. Ainsi Jack McAfee bossela l’arrière de sa Ferrari et Phil Hill perdit un temps précieux à redresser une roue tordue. S’ensuivirent des problèmes de frein dangereux pour les longs tronçons à grande vitesse à venir.

Ferrari McAfee

A la sortie d’Atlixco, la course grimpa à plus de 2000 mètres d’altitude. Dans cette partie difficile à négocier, la Gordini de Behra montra sa supériorité au moins jusqu’à ce qu’un virage le catapulte dans un ravin d’où on le sortit avec des côtes fracturées et souffrant de contusions multiples. Luigi Chenetti fit un tête-à-queue spectaculaire mais repartit facilement sans dommage. Behra hors jeu, Villoresi prit d’assaut l’étape pour la gagner. Le record d’Ascari de 1951 fut battu avec 133 km/h tandis que Von Berckheim se retirait avec une boite cassée. 

Accident Jean Behra

Après un bref repos à Puebla, les pilotes reprirent la course pour la capitale avec une étape qui allait vite et bien faire le tri. A l’extérieur de Mexico, Santos Leona quitta la route avec sa jaguar XK120 et se tua sur le coup. 
Pour les Mercedes, un avenir glorieux se préparait. 
A Mexico, les pilotes se retrouvèrent au milieu de ce qui pouvait ressembler à une émeute car la course coïncidait avec le 42eme anniversaire de la Révolution mexicaine de 1910. Un demi million de personnes rejoignait le site où se trouvaient les statues des héros de la Révolution tandis que des soldats armés de baïonnettes tentaient tant bien que mal de les réprimer. 
Villoresi abandonna à la cinquième étape avec une panne de distribution, et Bracco avec un gros problème électrique. Kling gagna la septième étape avec une porte papillon manquante tandis que Fitch était disqualifié après avoir été dépanné par un mécanicien mexicain local extérieur à son assistance, ce qui était formellement interdit par le règlement de la course.

Arrivée Mercedes

Kling gagna avec une moyenne de 154 km/h et supplanta le record de Taruffi de plus de 3 heures. Lang fut second après 32 minutes et Chenetti ramena la 340 Mexico en troisième position, suivie de la Lancia de Maglioli, de la 340 America de McAfee  et de Phil Hill dans sa Ferrari 212. Ferrari terminait donc avec trois voitures dans les six premières places. 
L’équipe allemande avait donc fait un travail excellent sur une épreuve aux conditions peu familières. Les voitures étaient dans un sale état, la peinture effacée par le sable, cabossées, accidentées par les oiseaux, les moteurs éprouvés par les essais qui leur avaient mis plusieurs milliers de kilomètres supplémentaires au compteur.
Après quelques heures de repos à Juarez, Kling et Hans Klenk grimpèrent à nouveau dans la numéro 4 et retournèrent tranquillement sur leurs pas pour rejoindre Mexico afin de recevoir leur récompense. 

Vainqueurs
Vainqueur

Les 300 SL avait gagné la gloire et la notoriété pour les mois à venir. Aucune autre voiture dans l’Histoire de la compétition automobile n’atteignit leur record de victoires : 4 podiums dans les cinq événements majeurs auxquels elles participèrent.         
Avec une sportive conçue à partir de pièces provenant de modèles existants, mettant sur le devant de la scène et sortant de l’ombre la marque allemande, on peut affirmer que les emblématiques portes papillon des Mercedes 300 SL s’en sortirent plutôt pas mal cette année-là.

Carrera Panamericana
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