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Bugatti 251 : le chant du cygne de la marque de Molsheim.

 

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Quand Ettore Bugatti réussit, après une longue bataille avec l’administration française, à récupérer son usine confisquée par les Allemands pendant la guerre, il n’a plus la force ni la motivation pour relancer l’outil de production. Son fils Jean, destiné à lui succéder, s’est tué en 1939 en essayant le Tank Bugatti Type 57G victorieux des dernières 24hrs du Mans, et il a parfaitement conscience que son deuxième fils Roland est beaucoup trop jeune et inexpérimenté pour reprendre les rênes de l’entreprise. Il essaye néanmoins de poursuivre ses activités en lançant quelques études, mais décède d’épuisement en août 1947.

Roland Bugatti décide alors, avec l’aide du fidèle collaborateur Pierre Marco, de donner un second souffle à Bugatti en produisant la Type 101 basée sur un châssis de Type 57 sans grand succès, la situation économique de l’après-guerre étant peu propice à la vente de voitures de luxe. 
C'est d’ailleurs avec des contrats non liés à l’automobile que Bugatti garde la tête hors de l’eau. Persuadé, que le renouveau de la marque doit passer par la compétition, Roland Bugatti et toute son équipe commence à envisager un nouveau projet. C’est ainsi qu’est lancée l’étude d’un monoplace dans le but de rivaliser avec Ferrari, Maserati ou Mercedes au championnat du monde de F1.

Gioacchino Colombo aux commandes.


Le projet va prendre du temps avant de se concrétiser. Lancé début des années 50, il n’aboutira que fin 55 quand, pour la première fois officiellement, la voiture est présentée à la presse.
C’est à Gioacchino Colombo, père du V12 Ferrari et ingénieur chez Alfa du temps des Alfetta 158, que le projet est confié. Il reprend une idée déjà envisagée sur les Alfetta, un moteur en position centrale arrière. Même si ce n’est pas à proprement parler une nouveauté, les 
Auto-Union d’avant-guerre avaient leur moteur à l’arrière, c’est une première pour une voiture devant participer au championnat du monde de Formule 1. De plus, le positionner transversalement est totalement inédit. Le moteur 8 cylindres en ligne de 2,5l est en fait deux 4 cylindres mis bout à bout. Ce n’est pas nouveau pour Bugatti, et cela évite de devoir payer le développement d’un « vrai » nouveau moteur 8 cylindres. Il bénéficie d’un double allumage et est gavé par 4 carburateurs double corps Weber. 

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Quand la voiture est présentée à la presse, il développe un peu plus de 230cv, encore loin des 280cv annoncés pour les Mercedes et les Ferrari même si les 270cv sont promis avec l’utilisation du carburant prévu pour la compétition. Mais là où le bât blesse, c’est l’utilisation d’un essieu rigide à l’avant. Ce n’est pas par choix que Colombo a opté pour cette solution d’avant-guerre, mais sur l’insistance de Roland Bugatti qui souhaite rester fidèle à cette technique typique des voitures de Molsheim. On retrouve un pont De Dion à l’arrière et solution très moderne pour l’époque, la voiture est équipée de quatre freins à disques.
La voiture présente un empattement court de 2200mm. Le cockpit est entouré par deux réservoirs placés dans un treillis multitubulaire. La voiture présente quand même un dernier handicap à gérer, son poids. En effet, là où la concurrence revendique des voitures passant sous la barre des 700 kilos, la 251 affiche 750kg à vide sur la bascule.

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Une mise au point insuffisante

Les premiers tours de roues sont faits sur l’aérodrome de Strasbourg-Entzheim fin 1955. Roland Bugatti réussit à convaincre Maurice Trintignant de piloter le monoplace malgré un contrat signé avec Vanwall, une autorisation ayant été accordée au provençal par Guy Vandervell pour conduire la Bugatti à l’occasion du GP de France qui doit se dérouler à Reims le premier juillet 1956. 

 

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La mise au point se poursuit et Trintignant aligne les kilomètres et alimente les ingénieurs d’informations qui, pour la plupart d’entre elles, laissent penser que la 251 semble bien née. Ces premières impressions, données par le provençal, ne sont pas totalement partagées par quelques autres pilotes auxquels le constructeur a demandé de tester la voiture. C’est ainsi que Philippe Etancelin, Louis Rosier ou Hermano Da Silva Ramos ont un avis beaucoup plus réservé. Si tous reconnaissent une bonne tenue de route et une suspension efficace, ils notent un manque de puissance à bas-régime tout comme un côté fortement sous-vireur.
Chacun s’accorde à dire que la voiture a besoin de longues séances de développement et que la rendre compétitive prendra du temps. Malheureusement, le temps, c’est de l’argent et ça, Bugatti n’a plus ni l’un, ni l’autre. C’est donc avec une voiture dont la mise au point n’est pas encore terminée que la marque de Molsheim se présente à Reims 15 jours avant la date du GP. En effet, l’équipe a eu l’autorisation de venir tourner sur le circuit, afin d’y effectuer des essais grandeur nature. Rapidement, force est de constater que les résultats ne sont pas au niveau attendu. Pour son meilleur chrono, Trintignant tourne près de 13 secondes moins vite que le temps réalisé par Fangio pour sa pole position en 1954. La déception est rude, mais il est trop tard pour reculer et personne ne peut et ne veut envisager une non-participation de la 251 au GP de France, là où tout le monde en attend monts et merveilles.

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Déception et renoncement

C’est donc avec une dose de confiance limitée que Bugatti se présente à la séance d’essai du Grand Prix de France. C’est avec deux 251 que l’équipe de Molsheim s’est déplacée à Reims. Quelques modifications ont été apportées depuis les premières séances d’essais de l’hiver précédent. Les freins à disques ont laissé place à de traditionnels tambours, l’efficacité des premiers n’étant pas jugée satisfaisante, les échappements ont été modifiés et la face avant des deux voitures présente des différences.

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La concurrence vient essentiellement des Ferrari D50 de Fangio et Collins et de la Maserati 250F de Stirling Moss. Malgré tous les efforts de Trintignant, les essais officiels viennent confirmer les résultats obtenus les jours précédents : la Bugatti 251 n’est pas en mesure de contester la domination des voitures italiennes. Pire, de nombreuses autres monoplaces s’intercalent entre celle de Trintignant et celle de l’Argentin détenteur de la pole position. Vanwall, Gordini et quelques autres Maserati et Ferrari repoussent le français à la 18ème place à plus de 18 secondes de la voiture de tête. Ce n’est pas réellement une surprise pour les spécialistes, mais c’est une cruelle désillusion pour tous les spectateurs et supporters de l’équipe française.

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La course ne fera que confirmer le manque de compétitivité de la voiture. Après un départ encourageant qui permet à Trintignant d’atteindre la 13ème place, le moteur de la 251 commence à cafouiller et à perdre de sa puissance. La voiture, quant à elle, manifeste la volonté évidente de vouloir occuper toute la piste au grand désespoir de son pilote. 
Finalement, c’est au 18ème tour que Trintignant doit jeter l’éponge. C’est sa pédale d’accélérateur qui se grippe et il doit quitter la course par la petite porte.
Peter Collins remporte le Grand Prix, pendant que l’équipe Bugatti rentre en Alsace le plus discrètement possible.

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Quelques jours après, les responsables de la marque annoncent qu’ils renoncent à poursuivre l’aventure et que cette seule course de la 251 sera la dernière. 
La déception fut grande pour beaucoup de monde. D’autant plus, que les ingénieurs de la marque et certains spécialistes étaient persuadés qu’avec un peu de travail la voiture aurait pu devenir compétitive et permettre à Bugatti de revenir en haut de l’affiche.
Le manque d’argent pour continuer le développement explique cette décision qui ne sera, en réalité, que le début de la fin pour la marque de Molsheim qui finira par être rachetée par Hispano Suiza en 1963.

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Les deux 251 finiront dans la collection des frères Schlumpf. On peut les voir aujourd’hui à Mulhouse à la Cité de l’Automobile.


Source photos : Wikiwand, Bugatti image, André Leroux, Motorsport image, Wheelsage, Media Photo, MC

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