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📬 Courrier des lecteurs – Les Femmes dans l’Automobile #7 – Hellé Nice

En 2020, nous fêtons le 120ème anniversaire conjoint de la fondation de la marque automobile Bugatti et de la naissance d’un des plus audacieux pilotes féminins de son temps, la plus rapide du monde, recordwoman de renom, Mariette Hélène Delangle dite Hellé Nice dont la carrière fut brisée en quelques secondes par les propos diffamatoires d’un homme à la rancune de séducteur éconduit visiblement tenace. 

Il se murmure à cette occasion que le livre de chevet de Stephan Winkelmann, PDG de la firme, pour ces semaines de confinement forcé que nous connaissons tous, se trouve être la biographie précise et documentée de la pilote publiée en 2005 par Miranda Seymour, The Bugatti Queen. Il ne vous aura pas échappé que la marque n’a pas hésité à baptiser du nom de ses deux grands pilotes masculins ses derniers modèles d’hypercars emblématiques, la Divo, voiture neuve la plus chère au monde en 2018, en référence à Albert Divo (1895 – 1966), dont la carrière s’étend de 1919 à1939 et pilote officiel pour Ettore Bugatti de 1928 à 1933, et la Chiron en 2016 pour Louis Chiron (1899 -1979) chez Bugatti de 1926 à 1932, réputé pour ses victoires sportives et son élégance toute personnelle d’ancien taxi-boy, organisateur du premier Grand Prix de Monaco en 1929, et qui jouera un bien triste rôle dans la chute et l’oubli d’Hélène qui termina sa vie le 1er Octobre 1984, dans la solitude et le dénuement le plus complet. 

Louis Chiron
Hellé Nice
Albert Divo

Hélène naît en 1900 dans une famille modeste de la Beauce, un père facteur qui meurt très vite, une mère au foyer, vit une enfance tranquille dans un petit village qui voit passer fin Mai 1903, dans un nuage de poussière, les trois cents bolides du rallye Paris Madrid auquel participent les trois frères Renault, Marcel, Fernand et Louis ainsi que Camille du Gast et sa De Dietrich, l’unique femme à s’aventurer dans cette épreuve (si vous ne l’avez pas encore fait, allez vite lire l’article que nous lui avons consacré dans cette même rubrique), deux jeunes créateurs d’automobiles, Emile Mathis et son jeune associé milanais Ettore Bugatti, un mystérieux Dr Pascal, pseudonyme utilisé pour l’occasion par le milliardaire Henri de Rothschild. A trois ans, il est néanmoins compliqué de savoir si le souvenir de ce rallye qui défraya la chronique par son hécatombe marqua l’esprit de la petite fille. 

On la retrouve à Paris avant sa vingtième année. C’est une très jolie fille. Lorsqu’on l’interroge plus tard sur sa vie et ses moyens de subsistance au cours de cette période, elle élude vite la question avec un léger sourire, promettant de s’expliquer plus tard. Ce que l’on sait avec précision, c’est qu’elle devient la maîtresse d’un photographe, René Carrère dont les œuvres artistiques sont subventionnées par des photographies publiées sur des cartes postales coquines… Hélène travaille comme modèle de charme ; elle est plutôt bien faite, athlétique et René, proche des milieux du spectacle parisien, l’enjoint à commencer une carrière de danseuse plus ou moins dénudée.  Avec ses premiers salaires, après avoir passé son certificat de conduite en 1920, elle s’achète sa première voiture,  une petite Citroën qu’elle surnomme Maisie. Parallèlement elle se noue d’amitié avec Henri de Courcelles, un ancien aviateur, détenteur de la Croix de guerre pour faits héroïques et Marcel Mongin, pilote de course et propriétaire d’un garage à Neuilly.

Le trio se rend à Brooklands en 1920. Le circuit conçu en 1906, suite à l’interdiction de concourir sur route est sans nul doute à l’époque le plus beau circuit d’Europe. Et c’est là que la jeune femme voit pour la première fois tourner deux voitures bleues, modèle que Courcelles convoite pour ses prochaines épreuves. Dans la foulée, elle apprend que le circuit et les épreuves sont interdits aux femmes. En 1923, Courcelles participe à la première édition du Mans. Les garçons enchaînent les courses et les succès tandis qu’Hélène skie et escalade le Mont Blanc par la face la plus rude tout en continuant sa carrière de danseuse. 

Le 2 Juillet 1927, l’ancien aviateur se tue en course à Montlhéry au volant d’une Guyot, voiture peu fiable dont la production sera abandonnée en 1929.  

Henri de Courcelles

En 1929, au cours d’un  séjour à Megève, Hélène se blesse au genou  en essayant de se protéger d’une avalanche alors qu’elle faisait du hors piste. C’en est terminé de sa carrière de danseuse. De toute façon, elle a presque 30 ans et une autre voie s’ouvre désormais à elle. Il se trouve que le monde du spectacle et celui du sport automobile sont intimement liés. Les constructeurs ont besoin du  glamour des stars pour mettre en lumière leurs modèles et celles-ci apprécient la compagnie des rutilantes et onéreuses machines. C’est donnant gagnant. C’est la belle époque des concours d’élégance où la jet-set parisienne parade à bord de Rosengart, Ballot et Voisin, les belles élégantes vêtues par Paul Poiret ou Madame Schiaparelli. 

Hélène y participe activement et dans la foulée décide de s’inscrire au Grand Prix Féminin à bord d’une Omega Six, modèle peu commun qui avait bien réussi à Mongin lors de sa participation au Mans en 1924. La voiture fut produite et préparée pour elle. Hélène suivit aussi une préparation physique intensive. Mongin lui sert de coach driver, connaissant parfaitement le circuit. Pour l’anecdote, il lui conseille de n’utiliser en course que deux paires de gants de coton très fin afin de conserver la sensation parfaite de la route en faisant fi des brûlures inévitables dues au maniement tonique du volant. Tous les jours, deux fois par jour, elle s’entraîne sur le circuit. Par superstition, elle porte la même écharpe rouge que celle qui ne quittait pas le cou de Courcelles à chacun de ses vols pendant la Première Guerre Mondiale. Et elle est persuadée que l’esprit de son ami défunt l’accompagne pendant la course.
Celle-ci a lieu le 2 Juin 1929. L’américaine Lucy Schell est là, une main bandée, Dominique Ferrand sur Amilcar, Violette Morris et sa Donnet. Hellé Nice se souviendra longtemps du regard perçant que celle-ci lui lança ce jour-là … Avant le départ, un haut-parleur rappelle aux concurrentes la signification de la couleur des drapeaux.

Le lendemain,  les journaux titrèrent sur la victoire de la danseuse du Casino de Paris au Grand Prix Féminin de Montlhéry avec une moyenne de 100 km/h, les paumes des mains à vif, couvertes d’ampoules douloureuses … Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, elle apprit à l’issue de la course qu’elle avait aussi remporté le concours d’élégance. Seule une femme pouvait atteindre ces deux victoires, la performance sportive et la performance esthétique.

La semaine suivante, Bugatti, qui recherche une show-girl pour son nouveau modèle,  la sollicite pour représenter la marque. Ettore recherche un nouveau pilote au visage avenant afin d’atteindre le marché féminin. Elizabeth Junek qui la précède abandonne ses activités de driver avec la mort de son époux en Juillet 1928 au Nürburgring. Hellé est rapidement devenue l’emblème de la  réussite sportive féminine. Ettore l’attend à Molsheim afin de prendre en main la Type 35 qu’il lui destine. Une voiture puissante qui encore aujourd’hui peut atteindre les 200 km/h. 

La jeune femme, qui a débuté sa carrière il y a moins d’un an, se retrouve dans l’antre du créateur des voitures de course les plus prestigieuses. Et lorsqu’elle s’aventure à interroger  le maître sur son salaire, celui-ci saura lui répondre : – La gloire de la victoire.
Et sans doute aussi la gloire de rejoindre l’une des teams automobiles les plus prestigieuses au monde. 

Drivée par le pilote maison Divo – Pense à rien d’autre, quand tu atteins la limite, accélère davantage, la machine et toi, vous ne faites qu’un – c’est la course, on est le 6 Décembre 1929 à Montlhéry. A l’arrivée, Hélène est incrédule : elle apprend qu’elle détient le record du tour avec 197,708 km/h. Divo toujours avare de compliments se fendra d’un Je n’ai jamais vu une femme conduire aussi bien … C’est la révélation, la consécration, Hélène sait qu’elle n’aura désormais de cesse de pouvoir piloter, car c’est la seule chose à laquelle désormais elle aspire. Elle est faite pour ça et ses résultats en sont une preuve flagrante. Pendant une semaine, c’est la femme la plus célèbre de France.  Bugatti va sans doute l’engager pour la prochaine saison du Mans.  

En Août 1930, elle part six mois aux Etats-Unis sur la côte Est. Elle a 30 ans et le salaire proposé est affriolant pour une grande tournée d’exhibitions.  De retour en France, elle aligne les participations sur Bugatti jusqu’en 1933 où elle commence à s’intéresser à la conduite d’une Alfa Romeo Monza. Elle a adoré piloter la Type 35 mais le nouveau modèle Bugatti beaucoup plus imposant, la T59 Grand Prix, est bien trop lourde à manier, même pour une pilote aussi expérimentée et aussi brillante qu’elle. 

Le 7 Juin 1936, c’est le Grand Prix de Rio. C’est l’accident, stupide. Un ballon se retrouve sur le circuit, un commissaire tente de le dégager. On ignore ce qu’elle essaya d’éviter à 150 km/h, le commissaire de piste ou le ballon. A cette vitesse, son Alfa Monza faucha dans son embardée la première ligne de spectateurs. Il y eut 6 morts et 34 blessés graves. 

Grièvement blessée, elle resta trois jours dans le coma, avec peu d’espoir selon les médecins qu’elle puisse reprendre connaissance avant de mourir. Elle en sortit pourtant vivante et fut de retour en France après trois mois de convalescence. A partir de ce moment-là, il est compliqué de savoir ce que fut vraiment son existence. Elle loue une villa à Beaulieu sur mer. Elle voyage un peu en Italie, est approchée par Yacco qui recherche des pilotes féminins émérites pour sa publicité. En 1938, elle offre ses services à la firme Adler comme pilote d’usine. Sa tentative de rapprochement avec Adler, marque allemande n’est pas étonnante. Elle est proche d’un pilote, Huschke von Hanstein dont la nouvelle BMW 328 Roadster est immatriculée SS-333 mais qui cela choque-t-il en 1938 ? Hélène apprend qu’Adler est à la recherche de pilotes françaises. Hanstein blessé à l’épaule et empêché de grands prix demande à Hélène d’être sa partenaire au Rallye de Chamonix sur une DKW allemande. Tombés en panne, ils en profiteront pour vivre quelques jours d’une idylle rapide. En 1939, elle gagne sa dernière course à Comminges au volant d’une petite Renault Juvaquatre.

C’est la Seconde guerre Mondiale. 

Louis Chiron, monégasque et prudent,  passera la guerre en Suisse neutre, René Dreyfus en Amérique à l’invasion de la France par l’Allemagne, y restera à l’abri avant de rejoindre les Forces Alliées. Quant à Hélène qui séjourne à Paris, on a du mal à imaginer que cette ancienne danseuse, pilote de talent, renonce à toutes les facilités et à tous les bonheurs d’une vie futile et facile. Aucune trace d’un engagement ni d’une véritable collaboration mais sans doute certains compromis …Ce qu’on sait et ce qui lui sera sévèrement reproché, c’est de faire l’acquisition de la Villa des Pins à Nice en 1943. La ville est  à cette période aux mains des Allemands et de nombreuses arrestations et déportations de Juifs ont lieu. Les SS ont installés leur QG  à l’hôtel Excelsior en Septembre 1943. On ne saura pas dire quels étaient les occupants précédents de la villa des Pins, et les pires allégations coururent sur l’acquisition de celle-ci. Quoi qu’il en soit, Hélène passa la fin de la guerre confortablement installée avec son compagnon.

A l’automne 1948, Anne Itier, pilote et amie d’Hélène la sollicite pour reprendre un volant au Rallye Monte Carlo de 1949. La vie reprend son cours léger et ensoleillé sur la Riviera française. On donne une réception pour présenter les pilotes du Monte Carlo. Hélène discute avec des amis, un homme se dirige vers elles, la pointe d’un doigt accusateur, et de manière à être entendu de tous l’accuse d’être un agent de la Gestapo. C’est Louis Chiron. Il a sa cour, c’est un mondain, dorloté par la presse et les photographes, toujours entouré d’un essaim de jolies femmes. Elle restera sans voix. Ce qui lui fut reproché.

Hélène perdit tous ses amis et tous ses sponsors en quelques instants. Cette petite phrase assassine dont elle ne sut pas se défendre signa la fin d’Hellé Nice. La Gestapo tenait des registres précis des français collaborateurs dans lesquels on ne trouva aucune mention de la belle pilote.
Elle essaya de retrouver un volant et ce fut peine perdue. Ruinée par son compagnon visiblement sans scrupule et une vie qui avait été certainement très dispendieuse, elle finit sa vie chichement, dans la misère, grâce aux subsides d’une association de charité bien nommée La roue tourne. A sa mort, ses trophées qu’elle avait conservés  et ses photographies de jeune femme triomphante furent dispersés.

Allez savoir, peut-être qu’un jour on saura se souvenir de la jeune femme au béret blanc qui ajustait en souriant après plusieurs heures de course éprouvante, son maquillage et sa coiffure avant d’aller recevoir le Prix de l’Elégance. Et à l’instar de Chiron et Divo, il sera peut-être rendu un incroyable hommage à ses qualités de pilote en baptisant une de ces furieuses et incroyables Bugatti du joli nom d’Hellé Nice.

Merci à Marie-Catherine Ligny pour cet article ! 

Crédits photos : Agence ROL, Agence Meurisse, Getty images

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