Archie Scott Brown au départ du British Empire Trophy 1957 aux côtés de Roy Salvadori (DBR1), Noël Cunningham-Reid (DB3S) et Ron Flockhart (Type-D)

Lister : Quand le coup de foudre devient éclair de génie - Partie 1

Chez Mecanicus, nous aimons les autos, mais surtout les histoires et les hommes qui les entourent.
Pour notre second sujet “grand format”, nous quittons les Etats-Unis et prenons la direction du Royaume-Uni. Durant les prochaines semaines nous allons vous raconter l’histoire d’un petit constructeur britannique qui parviendra à replacer Jaguar en haut de la feuille des temps. 

 

Introduction

 

En avril 1957, le label New-Yorkais Blue Note enregistre le “Blue Note 1558 Volume 2” du saxophoniste ténor Sonny Rollins, accompagné pour l’occasion par Horace Silver et Thelonious Monk au piano, de Paul Chambers à la basse, de Jay Jay Johnson au trombone et enfin, d’un certain Art Blakey à la batterie. Blue Note, qui deviendra l’une des maisons de disques les plus importantes dans l’histoire et la diffusion du Jazz dans les années 50 et 60, fidèle à ses principes, pondit une pochette légendaire à l’esthétique si charismatique. Car Blue Note avait pour grande volonté de produire des pochettes artistiques, dont le rôle serait aussi important que les bandes enregistrées gravées sur le disque qu’elles enrobent. Une association terriblement efficace, forcément prépondérante dans le succès que connut Blue Note.

 

Sonny Rollins sur Blue Note, enregistré en avril 1957 - La pochette deviendra légendaire

 

Durant ce même mois d’avril, en Angleterre, où le Jazz s’était engouffré depuis une bonne décennie, une auto méconnue et à la conception artisanale, remporte le British Empire Trophy, au nez et à la barbe d’un escadron d’Aston Martin “usine” et autres Jaguar. À son bord, un pilote encore trop méconnu, Archie Scott Brown. L’auto est une Lister, un jeune constructeur de Cambridge, fondé en 1954. Ce succès mérité valide le pari de son concepteur, Brian Lister, qui décida de construire sa nouvelle auto autour du très performant six cylindres en ligne XK de Jaguar. Ce sera le point de départ d’une aventure humaine singulière, comme il en existait beaucoup à l’époque, témoignage d’une époque révolue. Une époque propice aux sports mécaniques, à leur développement et au design qui se résumait non pas à une science, mais bel et bien à un art. Lister fait partie des petits constructeurs au tempérament bien trempé, ayant senti le parfum de gloire qui rodait dans l’air, à un moment ou seul Jaguar et Aston Martin portaient haut les couleurs de l’Union Jack sur les circuits internationaux.

 

Archie Scott Brown au départ du British Empire Trophy 1957 aux côtés de Roy Salvadori (DBR1), Noël Cunningham-Reid (DB3S) et Ron Flockhart (Type-D)   

 

Et pourquoi donc ce parallèle au Jazz ? Si l’improvisation, et sa dose de hasard, rythmait les compositions des musiciens, c’est davantage l'association des meilleurs éléments qui définissent la musique produite par Blue Note et les autos de Cambridge. Pour faire un bon disque, il vous fallait les meilleurs artistes - pris indépendamment - ensemble, en associant un design unique. Pour faire une bonne auto, Brian Lister reprit inconsciemment cette formule. La Lister Costin, associant le fabuleux moteur Jaguar au génialissime dessin du magicien Frank Costin, en est le meilleur exemple. Peut-être s’était-il inspiré du Jazz, lui qui s’était engagé dans la Royal Air Force pour ses groupes de Jazz ? Rien n’est moins sûr. Quoiqu’il en soit, celui qui monta un groupe dans sa jeunesse, dont-il fut le batteur, créa avec autrement plus de notoriété des autos intemporelles, avec certainement moins d’improvisations, mais une maîtrise à en faire pâlir plus d’un. 

 

Le coup de foudre

 

L’histoire de Lister ne doit pas être réduite aux voitures. Cette histoire, c’est une histoire d’hommes, non pas d’un seul, mais deux. Associer un bon châssis avec un bon moteur, c’est une chose. Associer un ingénieur-concepteur brillant à un jeune pilote talentueux, c’en est une autre. C’est véritablement cette association-là qui fit de Lister ce dont on connaît aujourd’hui. À l’image d’un Colin Chapman et d’un Jim Clark ou d’un Carroll Shelby et d’un Ken Miles, vous direz-vous. “Sort of”. Mais cette histoire à quelque chose de différent, d’un exploit, au goût inachevé.

 

Brian Lister

 

Nous pourrions commencer le récit en 1954, date de création de la Lister Motor Company. Mais il serait plus judicieux de remonter en 1952 pour mieux cerner nos deux protagonistes et comprendre la philosophie et la frénésie britannique de la course automobile des années 50. Après avoir étudié à la Perse School de Cambridge et être passé par la RAF, notre amoureux de Jazz rejoint l’entreprise d'ingénierie familiale, dans laquelle il acquiert une expérience déterminante pour la suite de sa carrière. Parallèlement, il commence à assouvir son autre passion, la course automobile. Après avoir déniché une ancienne MG de police, complètement rincée, il passe rapidement à une Morgan 4/4 qu’il délaissera pour une Cooper-MG. Mais c’est avec un client de l’entreprise familiale “George Lister and Sons” que les choses évoluent. Ce dernier se nomme John Tojeiro. De lui, Brian achète le second châssis Tojeiro construit et y flanque un deux cylindres en V JAP de 1,100 cm3 en position transversale et l’auto reçoit une boîte de vitesse de Jowett Jupiter. Ayant participé à la fondation du Cambridge ‘50 Car Club, Brian rencontra un certain Don Moore, le genre de guru mécanicien que n’importe quel pilote bénit. Ce dernier, qui entretenait la Tojeiro, s'exerçait également sur une MG TD bien reconnaissable, dont le propriétaire était également au club. Reconnaissable non pas par son aspect, car elle n’était ni plus ni moins qu’une MG standard, mais par son pilote. L’auto était la propriété d’un jeune homme, dénommé William Archibald “Archie” Scott Brown. Ce pilote extrêmement talentueux, hors-normes au style de conduite exubérant allait bien plus tard recevoir le titre de “King of Drift”, décerné par Juan Manuel Fangio lui-même.

 

Archie Scott Brown

 

“Archie” ne fut pas un pilote comme les autres. Né handicapé, il subit 22 opérations en moins de 2 ans durant son enfance pour réduire son handicap. Il devra toutefois faire avec sa seule main gauche. Sa malformation au bras gauche l’obligea à développer une autre manière de piloter, mais son habileté au volant fit de lui le premier vainqueur handicapé en course automobile de l’histoire. Lors d’une journée sur circuit à Bottisham, les deux hommes furent au coude à coude, signant des temps au tour très proches les uns des autres. Si Brian fut le plus rapide d’un rien, il fut déconcerté par les écarts séparants les deux autos.

 

Brian Lister au volant de sa Tojeiro-JAP, aussi surnommée "Lister-JAP"

 

Archie au volant de la Tojeiro-JAP

 

La Tojeiro-JAP, un style particulier

 

Car si la Tojeiro-Jap avait été spécialement conçue par ses soins pour la piste, la MG quant à elle n’était qu’une TD préparée. Don Moore souffla donc à Brian - sur le point d’arrêter définitivement le sport auto - de mettre Archie dans l’auto. Il prit donc le volant à l’occasion d’une course de cinq tours, et la remporta haut la main, en prenant un tour à la totalité de ses adversaires. De là, Scott Brown continua d’impressionner dans la Tojeiro remportant un grand nombre de victoire de classe entre 1952 et 1953. Pour autant, la Tojeiro et son moteur JAP capricieux, au potentiel forcément limité, s’avérait dépassée. Brian Lister prit la décision de laisser la bête - à défaut d’être belle - pour se projeter sur la saison 1954, surtout qu’Archie, lui, ne semblait que meilleur au volant. Si Brian avait prouvé avec sa Tojeiro que le “bricolage” était l’une de ses forces, il allait mettre au défi ses qualités d’ingénieur dès la fin de l’année 1953.
Comment ? En se lançant dans la construction de sa première auto : la première Lister...

 

Crédits Photos : Lister-Jaguar, Brian Lister and the cars from Cambridge - Paul Skilleter