En 1953, Felice Bonetto arriva troisième aux Mille Miglia sur Lancia tandis que deux autres modèles, voitures d’usine, se positionnaient aux septième et huitième places.
Umberto Maglioli, arrivé quatrième en 1952 au classement de la course mexicaine à bord d’une B20 GT Aurelia, persuade les ingénieurs de préparer une version D20 pour concourir au Mans en Juin 1953. L’essai fut loin d’être concluant : la team ne tint pas la distance et fut devancée cette année-là par les Jaguar et les Gordini. On revit la copie avec, entre autre, une carrosserie plus légère et on baptisa la nouvelle mouture D23. Celle-ci ne ménagea pas ses efforts pour s’imposer et gagna quelques courses cette année-là. Fut ensuite mise au point la D24 qui présentée au Nürburgring échoua malheureusement à s’imposer en Grand Prix.
Mais tandis que les dépenses consenties commençaient à sérieusement peser sur le budget, la marque turinoise s’engagea dans un challenge qui devait redorer son image de marque grâce à un coup de chance étonnant : elle serait la seule grande team européenne à s’engager cette année 1953 dans une des courses d’endurance la plus prestigieuse hors d’Europe : la Carrera Panamericana. Et c’est avec la participation de cinq voitures qu’elle s’imposera : trois D24 et deux D23. Les D24 furent assignées à Fangio, Bonetto et Taruffi, et les moins puissantes D23 à Eugenio Castellotti et Giovanni Bracco.
Un an plus tôt, Juan Manuel Fangio avait connu l’étonnant record d’être le premier champion de monde à commencer une saison sans contrat. En effet, Alfa Romeo s’était retiré de la compétition à la fin de la saison 1951 et l’Argentin dut débuter la nouvelle saison avec une Ferrari en Amérique du Sud. Malheureusement, au volant d’une BRM peu fiable, il n’arriva pas à terminer deux courses … fut victime d’un accident à Monza et se retrouva sur la touche pour la fin de la saison.
A son retour en 1953, il gagne le Grand Prix d’Italie et le Grand Prix de Modene dans la foulée, avant de s’imposer en Angleterre, en Allemagne puis en France, et termine second du Championnat de Monde derrière Alberto Ascari. Bonetto quant à lui avait gagné la Targa Florio en 1952 sur Lancia et avait piloté pour la marque en 1951 sur la Panamericana. Taruffi avait une excellente expérience de la course mexicaine à laquelle il avait participé trois fois terminant à la première place en 1950, puis neuvième et dixième aux éditions suivantes.
Le concurrent le plus dangereux des Lancia est sans doute Maglioli sur Ferrari. L’été 1953 voit le début d’un nouveau modèle 375 Mille Miglia développé pour Ascari à l’occasion des 500 Miles d’Indianapolis. Avec ce modèle, Ascari et Luigi Villoresi obtiennent le record du tour au Mans avec une 375 mais aussi avec un abandon à la clé. Néanmoins, ils sont vainqueurs aux 24 Heures de Spa et aux 12 Heures de Pescara. Le contingent Ferrari n’était pas soutenu directement par la maison-mère pour l’inscription à la Carrera mais par Franco Cornacchia, un jeune et brillant pilote enthousiaste et plein de bonne volonté. Les quatre voitures participantes étaient des 375 MM Berlinetta ainsi qu’une 375 MM Spyder avec laquelle Ascari et Nino Farina avaient gagné les 1000 km du Nürburgring en Août 1953.
Les Ferrari avaient un léger avantage de puissance sur les Lancia, mais celles-ci étaient plus légères. Et la marque au cheval cabré comportait par véhicule deux mécaniciens d’assistance dont un embarqué. Lancia ne souffrait d’aucun passager et à chaque arrêt nocturne, la compagnie fournissait 5 mécaniciens pour chacune des voitures ainsi qu’un camion équipé d’un palan pouvant intervenir aisément et rapidement sur toutes les parties mécaniques dans la limite des 3 heures prévus par le règlement.
Une cinquième Ferrari Spyder était conduite par Luigi Chinetti et son co-pilote, un jeune marquis espagnol Alfonso de Portago participant à sa première grande épreuve de compétition automobile.
Des pilotes non professionnels, Phil Hill et Richie Ginther, étaient à bord de la 340 Mexico d’Allen Guiberson, celle-là même pilotée par Villoresi l’année précédente. Les mexicains Bush et Efrain Ruiz Echevaria au volant d’une 250 MM Berlinetta complétaient la team italienne.On retrouvait Louis Rosier sur une Talbot Lago T26GS. Rosier s’était distingué en gagnant le Mans en 1950 et deux Grands prix en 1950-1951 pour la marque française, ses dernières grandes victoires sportives. Deux Gordini : une T24 S pour Jean Behra et une T16 S pour Jean Lucas concouraient avec le même sponsor.
La plus improbable concurrente face aux Européennes venait des fins fonds du Sud de la Californie. Après la performance de Troy Ruttman en 1951 avec son étonnante Mercury de 1948, le californien Ak Miller âgé de 32 ans s’intéressa à la course mexicaine en 1952 et prépara une Oldsmobile avec un ami, Doug Harrisson. Ils tinrent jusqu’à Leon mais durent abandonner avec de sérieux problèmes de transmission. Miller avait toujours imaginé pouvoir fabriquer une voiture de son cru, peut-être pas capable de battre des records mais une concurrente capable de tenir un bout de route. Avec l’aide de Harrison et de Ray Rock, ils s’attelèrent à la tâche, écumant les casses pendant 6 mois après leurs heures de travail et finirent par construire un prototype à partir entre autre d’une Oldsmobile Rocket V-8 couplée à une lourde Cadillac de 1937, d’une partie d’une Plymouth de 1938 tandis que le châssis venait d’un roadster Ford Model T de 1927. L’engin au design un peu particulier fut aussitôt surnommé « El Caballo de Hierro » et devint la coqueluche de la course.
Jean Trevoux qui résidait alors à Mexico retrouva une Packard pour sa quatrième participation. Joël Thorne dont la Cadillac avait été accidentée en 1950 décida de retenter sa chance. Guillermo Giron, le guatémaltèque se mit sur la ligne de départ avec une Jaguar XK120 équipée de freins à disque révolutionnaires parfaits pour les conditions si particulières de la course tandis que Jack Ensley s’installait au volant d’une Kurtis Chrysler.
Les autorités de la ville de Tuxtla Gutierrez étaient quelque peu inquiètes le jour du départ de la course : désormais plus de 1000 pilotes participaient, 200 voitures et 500 véhicules d’assistance parquées dans les rues. A 6h, la première voiture à s’élancer fut une Chrysler Special conduite par Fernando Razo Maciel, suivi du texan Owen Gray dans une autre Chrysler. Ensuite, les Ferrari prirent le départ, la 340 Mexico pilotée par Phil Hill tandis que le malchanceux Joel Thorne ne parvint pas à quitter Tuxtla.
Antonio Stagnoli au volant de sa Ferrari, à moins de 150 km du départ, fut victime d’une crevaison qui lui fit perdre le contrôle de sa voiture tuant son co-pilote Giuseppe Scotuzzi. Stagnoli, évacué à l’hôpital d’Oaxaca y décéda le matin suivant.
Huit autres voitures tombèrent en panne rapidement ou furent éliminées ayant dépassé les 5 heures d’arrêt autorisées, incluant les Chrysler de Gray, Fitch and McFee toutes avec des problèmes de transmission. Jack Ensley tomba en panne d’essence. El Caballo survécut en occupant la 15eme place à la fin de la première étape malgré un défaut de conception au niveau de la boite de vitesse et l’usage de l’overdrive provoquant un échauffement des roulements vite diagnostiqué et résolu par les audacieux concepteurs Ak Miller et Doug Harrisson.
Lancia arriva dans les quatre premiers dont Bonetto avec un record de 152 km/h. La Ferrari de Maglioli avait cassé une durite vite colmatée avec du ruban adhésif. Mais le temps de la réparation et les arrêts pour ajouter de l’eau au radiateur relégua l’équipe à la cinquième place suivie de la Gordini de Behra, de la Lancia de Bracco et de la Gordini de Lucas.
Tony Bettenhausen victime de dysentrie à Oaxaca, confia le volant de sa Kurtis à Duane Carter dont la Lincoln avait été accidentée au cours de la première étape.
Les Lancia étaient clairement en tête et pilotées par les meilleurs visiblement. Taruffi arriva à Puebla avec une moyenne de 142 km/h se maintenant ainsi second, suivi de Bonetto et de Fangio respectivement premier et troisième au classement général tandis que Maglioli gardait la quatrième place à 7 minutes du précédent.
L’assaut des Lancia ne s’arrêta pas là et Taruffi revint en tête pour l’étape Puebla-Mexico, jetant aux oubliettes le record de Luigi Villoresi de 48 minutes 9 secondes, avec une vitesse moyenne de 163 km/h, en 46 minutes 25 secondes. Bonetto arriva second, Maglioli troisième et les Lancia de Castellotti et Fangio quatrième et cinquième bien que ces derniers aient connu quelques mésaventures : la direction de Castellotti avait été endommagée par un choc avec un chien et le carter de Fangio après avoir roulé sur un poteau qui se trouvait sur la voie.
Hill fut le seul abandon de la troisième étape après une sortie de route. Alors qu’il observait les dommages causés à sa 340 Mexico avec Richie Ginther et un attroupement de spectateurs, une seconde voiture, une Cadillac quitta la route au même endroit, pour aller s’encastrer dans le même arbre !
La Packard de Trevoux arriva 9eme et Miller et sa drôle de machine 12eme survivant ainsi aux premières épreuves.
Malheureusement, une épouvantable tragédie devait frapper les Lancia à la 4eme étape, à Leon. Benetto qui menait la course eut un moment d’inattention en apercevant Taruffi posté sur le bord de la route près de Sialo. Lorsqu’il regarda à nouveau celle-ci, ce fut pour perdre le contrôle de sa voiture à plus de 250 km/h qui fut projetée sur une maison. Une jardinière qui saillait atteignit la tête du pilote qui fut tué sur le coup.
Taruffi avait perdu 25 minutes en essayant de redresser une bielle de direction avant de retourner en course et finit tout de même dixième. Bracco, sixième après avoir quitté Mexico, perdit une roue et du temps et fut contraint d’abandonner.
A l’issue de l’étape, Taruffi amer, déclarait à un journaliste : Si les conditions des routes ne sont pas améliorées , les Européens ne pourront pas revenir en 1954 ! Avant de murmurer : - Cette course nous tuera tous.
Maglioli arriva premier à la 5eme étape avec une moyenne de 185 km/h battant Fangio de 4 minutes. Mancini sur une autre Ferrari 375 MM suivait. Lucas sur Gordini fut disqualifié pour avoir égaré son road book…
C’est alors que Fangio prit la tête de la course, grâce aussi aux disparitions des voitures de tête il faut bien le reconnaître, avec Maglioli second, Castellotti et Taruffi en Lancia troisième et quatrième, Mancini cinquième.
La menace Ferrari s’accentua mais provisoirement. Les trois Lancia restantes furent balayées à Durango mais reprirent la course avec un Fangio précédant Taruffi de 8 minutes et devant Castellotti. Maglioli dut abandonner après l’éclatement d’un pneu. Le directeur de course des Lancia Attilio Pasquarelli sûr alors de la victoire ordonna à ses pilotes de garder leurs positions : ils ne furent plus autorisés à dépasser Fangio, Lancia ne voulant plus de duel fratricide. Maglioli confirma le vieil adage selon lequel une course se gagne grâce au pilote. Il remporta l’étape Durango-Parral avec une moyenne de 185 km/h bien au-dessus du record Mercedes de 164 km/h. Il termina devant Taruffi mais 7eme au classement général.
Il ne restait que neuf survivants des grandes équipes : trois Lancia, trois Ferrari, une Talbot, une Jaguar et la Miller spéciale. Lancia avec une avance écrasante commençait à préparer le champagne de la victoire.
Maglioli et sa moyenne de 222 km/h sur la dernière section de 357 km battit le record de vitesse sur route ouverte encore détenu aujourd’hui malgré sa sixième place, battu par la Talbot. El Maestro avait gardé son avance pour gagner la quatrième édition de la course. Taruffi arriva second avec 7 minutes d’écart et Castellotti troisième. Mancini et sa Ferrari furent quatrième. El Caballo fut classé huitième devant Giron et sa Jaguar Type C. La quatrième place de Mancini permit la victoire de Ferrari au Championnat du Monde devançant Jaguar.
Fangio déclara : - On ne gagne pas une course d’endurance en un jour. Il s’agit de maintenir le matériel et les hommes dans les meilleures conditions possibles.
En effet, sa technique consista à être suffisamment rapide pour gagner. Fangio n’avait pas gagné une seule étape mais resta toute la course dans les cinq premiers et jamais plus de quelques minutes à l’arrière. Et tant qu’il fut en tête, personne ne put lui voler de minutes.
Comme devait le déclarer Stirling Moss quelques années plus tard à son sujet : - Peu importe la vitesse à laquelle vous roulez, il roulera toujours plus vite que vous !
Les pilotes Lancia dominant tout ce beau monde avaient mené la course dans un train difficilement soutenable pour les autres concurrents, affirmant leur suprématie.
En 1952, Umberto Maglioli s’était confronté à Daimler-Benz au volant d’une Lancia. Qu’il remplaça par une Ferrari en 1953 avant d’être battu par son ancienne équipe.
Le jeune pilote italien de 23 ans se jura alors que 1954 serait son année.
To be continued.