Il est dans le monde de l’automobile des marques qui resteront à jamais gravées dans l’imaginaire des gens en raison de leurs résultats sportifs, du style ou simplement à cause de la forte personnalité de leurs fondateurs. Pour d’autres, ce sera à cause de leur confidentialité, mais aussi de la singularité et du mystère qui auront entouré leur passage, souvent bref, dans le milieu des constructeurs automobiles. Bucciali fait partie de celles-là.
Les frères Bucciali, Angelo et Paul-Albert, issus d’une famille d’origine corse, ont passé toute leur jeunesse du côté de Boulogne sur Mer. Est-ce la proximité du lieu où Blériot s’élança pour accomplir la première traversée de la Manche qui est à l’origine de la passion du jeune Paul-Albert, mais, le cadet des deux frères se prend très vite de passion pour l’aviation. Membre de la célèbre escadrille des Cigognes, placée sous le commandement de Guynemer, il passe la 1er guerre mondiale à faire des missions de combats et de photos. Il la termine avec les plus hautes décorations, mais aussi en ayant subit plusieurs graves blessures. En souvenir de cette période, il fera de la cigogne l’emblème de sa future marque automobile.
Une fois démobilisés, les deux frères se lancent dans la construction automobile. C’est d’abord avec une petite voiture de course animée d’un bicylindre Sicam-Violet qu’ils participent au Grand Prix des Voiturettes du Meeting de Boulogne où ils terminent 6ème de la course regroupant cyclecars et voiturettes.
Ils passent alors à la réalisation d’une conduite intérieure, la Buc AB1. Pour en faire la promotion, ils l’engagent au Tour de France Automobile mais doivent abandonner après avoir defoncé le carter moteur.
C’est à partir de 1925 que les 2 frères décident de passer à la vitesse supérieure et de se lancer dans une production plus industrielle. C’est maintenant un 4 cylindres d’origine SCAP qui équipe leur nouvelle voiture la Buc AB 4-5.
Certaines participent à des épreuves sportives propulsées par un moteur Cime accouplé à un compresseur Cozette voir même motorisées par un 6 cylindres sans pour autant obtenir de grands résultats.
On retrouve d’ailleurs 3 Buc au départ du Tour Auto 1925. Elles termineront toutes les trois l’épreuve, une finissant même sans pénalité.
Cette petite production ne suffit plus aux frères Bucciali. Ils se tournent alors vers un autre projet, produire une voiture à traction avant, système révolutionnaire à l’époque.
Commence alors l’étude des TAV (pour traction avant). C’est cette « aventure » qui va contribuer à faire des Bucciali une marque aujourd’hui célèbrée par un nombre non négligeable d’amateurs de voitures hors normes.
En 1926, il n’existe pas de production bénéficiant de la traction avant. Une voiture à 4 roues motrices a bien été présentée par Spyker en 1903 mais sans que cela n’aboutisse à quelconque production. Le plus jeune des deux frères va alors montrer toute sa créativité et ses talents d’ingénieur en se lançant dans l’étude de voitures proposant des solutions très innovantes.
La première étude est présentée au salon de Paris en octobre 1926. La voiture carrossée par Audineau n’est pas révolutionnaire de par son aspect mais présente des nouveautés pour ce qui est de ses dessous. En effet, outre la traction avant, elle propose une suspension à quatre roues indépendantes ainsi qu’un système de freinage sur ces mêmes quatre roues. Niveau moteur, c’est du classique avec l’utilisation d’un 4 cylindres Scap. Malheureusement, l’auto est non roulante. En effet, pris par le temps, la mise au point de la voiture n’a pu aboutir.
Au salon de 1927, on retrouve sur la stand Bucciali le faux-cabriolet déjà présenté l’année précédente et un châssis présentant un nouvel essieu avant ainsi qu’un moteur à soupapes latérales 6 cylindres d’origine Continental Motors Corporation. Pour autant, rien n’est prêt pour un lancement en production.
L’année suivante, le châssis présent en 1927 a subi quelques modifications et reçoit une nouvelle transmission tout comme une nouvelle boite de vitesse à 4 rapports. Un 2ème châssis est également proposé avec un 6 cylindres. Rien n’est lancé en production, mais quelques clients potentiels semblent manifester un intérêt certain pour les véhicules présentés.
1929 sera l’année du décollage pour la marque. C’est d’abord en juillet qu’un nouveau modèle baptisé « la Marie » est lancé. Propulsée par un 8 cylindres Continental de 4,4l, l'auto se présente sous la forme d’une voiture entièrement découverte sans portières. On la retrouvera sur le stand Bucciali au salon de Paris de cette même année. Ce châssis sera transformé à de multiples reprises et sera présenté sous divers habillages les années suivantes.
Au salon de Paris, outre « La Marie », on retrouve sur le stand Bucciali un coupé carrossé par Labourdette.
En fin d’année, les deux frères s’envolent pour les Etats-Unis dans l’espoir d’intéresser quelques industriels américains. Ils fondent même une société avec CS.Johnston mais ne réussissent pas à vendre de licence malgré l’intérêt qu’ils peuvent susciter.
Au salon 1930, le stand Bucciali a pris de l’ampleur. On peut y voir deux voitures habillées et un châssis nu. On y retrouve le coupé TAV6 de l’année précédente, mais aussi « La Marie », TAV8, qui cette fois est présentée sous la forme d’un torpédo sport.
Le châssis nu baptisé « double huit » laisse supposer qu’il devrait recevoir un moteur 16 cylindres mais qui n’est pour l’instant qu’à l’état de maquette.
1931 est une année charnière dans l’histoire de la marque. En début d’année les deux frères déménagent leur site de Courbevoie pour de nouveaux ateliers situés à Angers. Ils préparent alors un nouveau prototype qui prend la forme d’un roadster surbaissé motorisé par un 8 cylindres Lycoming de 5,2l. Il participe à plusieurs concours d’élégance sur la Côte d’Azur assurant une belle publicité pour la marque.
Au salon de Paris, on retrouve sur le stand de la marque une seule voiture exposée. Il s’agit d’un cabriolet habillé par Saoutchik. Force est de constater que l’on retrouve à partir de ce modèle tout ce qui fait le style Bucciali . La voiture est très basse, sa longueur paraît démesurée tout comme la hauteur des roues.
La marque propose sur catalogue six carrosseries possibles. Seules celles du cabriolet et de la berline seront en réalité commercialisées.
1932 apparaît comme l’année de toutes les reconnaissances pour les deux frères. Au salon de Paris, leur stand se trouve dans un espace réunissant côte à côte Bucciali, Isotta, Fraschini et Rolls Royce.
Deux voitures trônent sur l’endroit réservé à la marque. Un cabriolet, sans doute celui déjà présent en 1931, et surtout une berline, TAV12 qui attire l’oeil de tous les visiteurs. Carrossée par Saoutchik, à priori sur le châssis du roadster de 1931, elles est très longue, plus de 6 mètres avec une hauteur limitée à moins de 1,50 mètres. Peinte en noir elle est impressionante. Contrairement aux autres modèles, elle est motorisée par un 12 cylindres sans soupapes fournit par Gabriel Voisin.
Ce salon sera le dernier pour Bucciali. Des châssis sont bien lancés pour participer au salon de 1933, dont un pour une voiture motorisée par Mercedes, mais la crise de 29 est passée par là et l’argent manque aux deux frères pour aller plus loin. C’est pour eux la fin de l’aventure et de leur ambition de produire à plus grande échelle une voiture luxueuse et innovante.
Ils continueront à travailler sur de multiples projets allant d’une voiture très performante à quatre roues motrices à l’automitrailleuse mue par deux moteurs Mercedes mais ne reviendront pas dans le milieu de la construction automobile.
Que reste t’il aujourd’hui de la production extrêmement limitée des frères Bucciali ? Pas grand chose. La berline TAV8-32 (nommée aussi TAV12), la plus connue de toute a été totalement restaurée. C’est elle que l’on connait le mieux et que l’on peut admirer de temps en temps dans quelques prestigieuses manifestations.
Le châssis de TAV8 (La Marie) a été utilisée par un collectionneur allemand pour l’habiller sous forme d’un roadster dessiné par Saoutchik.
Début des années 80, un collectionneur américain, tombé sous le charme de TAV30 présenté au salon de Paris 1930 décide de reconstruire une voiture s’inspirant de cette dernière. Même si personne ne peut contester que le résultat final rend hommage à l’originale, c’est une reconstruction complète sans aucune pièce d’origine.
Une autre reconstruction, tout aussi spectaculaire, a été faite à partir d’un châssis de Cord Type L29. Elle se présente aujourd’hui sous la forme du cabriolet présenté sur le stand de la marque en 31/32. Celle-ci possède un moteur identique à celui d’origine, ainsi que le train avant, les roues et l’habitacle.
En outre 1 ou 2 châssis sont actuellement détenus par des musées, ce qui laisse peu de chance de croiser un jour la route d’une Bucciali.
Et c’est pour cette raison qu’une marque aussi confidentielle continue autant à intriguer et faire parler d’elle. Le phantasme Bucciali existe toujours et n’est pas près de disparaître tant la marque su parfaitement se mettre en scène et afficher des objectifs que seul un manque d’argent ne permit pas de concrétiser à une plus grande échelle.
Crédit photos : Pinterest. Artcurial, Prewarcar,Montesqieuvolvestre, Mini 43, Museumamericanspeed.
A lire sans modération le superbe livre consacré à la marque Bucciali écrit par Christian Huet.