Il est des voitures qui surgissent de l’imaginaire éclairé de grands designers avant d’être produites en petit ou grand nombre. D’autres ont un processus de création atypique, souvent initié par des passionnés liés à l’automobile, mais aussi, plus rarement, par des artistes guidés par une force créatrice totalement ignorante des contraintes techniques et de la notion de production. La Bugatti 57 imaginée par Jacques Brown en est l’exemple type.
Jacques Brown (James-Jacques Brown dit) est né en 1918 à Paris d’un père soldat américain et d’une mère anglaise. Après ses études, il rentre au ministère des Finances et commence une carrière dans la fonction publique. Mais ce milieu l’ennuie et il décide, à la sortie de la 2e guerre mondiale de se consacrer entièrement à sa passion : le dessin.
Il va alors traverser diverses périodes qui vont l’amener à passer du dessin à la peinture, puis la lithographie, la linogravure, mais aussi commencer la sculpture, d’abord en plâtre, avant d’aborder une technique peu pratiquée à l’époque, l’utilisation du polyester pour la réalisation de ses œuvres.
C’est durant cette période qu’il va créer la carrosserie de la Bugatti 57 châssis n°57645.
Jacques Brown achète, en 1952, une Bugatti Type 49 de 1932 carrossée en cabriolet par Gangloff.
C’est dans le garage tenu par Henri Hauswald, un ancien de Molsheim, que l’artiste a trouvé cette auto qu’il va utiliser pendant près de dix ans.
Connaissant les talents de son client dans l’utilisation du polyester, Henri Hauswald lui propose de fabriquer une carrosserie dans cette matière, un de ses clients lui ayant demandé de changer celle de sa Bugatti 57 châssis n°57645 en quelque chose de plus moderne.
Trouvant l’idée intéressante, le sculpteur commence l’ébauche de quelques dessins qui prennent vie sous la forme d’une maquette grandeur nature. À partir de celle-ci, il produit un moule en plâtre qu’il va recouvrir d’une fine couche de polyester pour aboutir à la nouvelle carrosserie de cette 57.
Une fois terminée, elle repart chez Hauswald qui va s’occuper de son assemblage avec le soubassement resté dans son atelier.
Cette nouvelle carrosserie, légère, permet un gain de plus de 250 kg ce qui est loin d’être négligeable. La ligne est fluide avec une partie arrière très effilée. L’ergonomie n’est pas son point fort, mais elle ne laisse pas indifférent quand elle est présentée à la presse.
Malheureusement, cet essai restera sans suite, même si un deuxième châssis n°57723 pourrait avoir été habillé de la même façon sans que l’on ne puisse à ce jour le vérifier, aucune trace de cette voiture n’ayant été retrouvée.
Après être passée entre différentes mains, la Bugatti va rester stockée dans la cour d’un garage pendant une longue période sans grande précaution.
La vie d’une Bugatti n’étant jamais simple, l’histoire rebondit quand un collectionneur belge retrouve la caisse de cette 57 Jacques Brown sans châssis et moteur. Ces derniers sont partis sous d’autres cieux, le châssis, ayant pris la direction de l’Allemagne pour servir de base à la fabrication d’une réplique de la Bugatti Aérolithe.
Sensible à son intérêt historique, le nouveau propriétaire de la carrosserie la fait restaurer et poser sur un châssis contemporain sans moteur.
Nul doute qu’il serait intéressant qu’elle retrouve un jour sa configuration d’origine et que l’on puisse l’apercevoir à nouveau lors de rassemblements ou de salons réservés aux anciennes.
En attendant, on peut la voir, du moins sa carrosserie sur roues, au très beau musée Autoworld de Bruxelles.
Crédit Photos : Pinterest, Ultimatecarpage, Prewarcar, Christie’s, auto-satisfaction.be, MC