Les drames qui ont émaillé la course Paris-Madrid écornent sérieusement le sport automobile, fer de lance de la toute nouvelle industrie. Louis se remet peu à peu de la disparition de Marcel qui l’a tant affecté. Il décide de s’éloigner de la course, comme un certain nombre de ses confrères, la jugeant alors trop risquée. D’autant plus que le gouvernement français a pris la décision de l’interdire purement et simplement. Il lui faut donc revoir sa stratégie commerciale.
Ancien logo
Louis se rappelle alors qu’avant que d’être pilote, il a été un inventeur et a déposé un nombre sérieux de brevets qui ne sont pas respectés et qui ne rapportent pas le moindre franc à l’entreprise. Il engage alors un procès contre un tout petit concurrent qui pille sans vergogne ses inventions et qui assure sa publicité en s’en vantant ! Procès qu’il gagne et qui aliène le contrefacteur … Le message est clair alors pour les concurrents potentiels qui voudraient se livrer au même pillage sans se munir du brevet avec des espèces sonnantes et trébuchantes. Louis propose alors dès 1905 des transactions à l’amiable avec une redevance à régler. Les seuls à refuser l’accord seront Peugeot, Brasier, Delage et Rossel qui intentent une procédure en annulation. Qui sera déboutée.
Louis est évidemment secondé dans son rôle de chef d’entreprise, qu’il prend très au sérieux désormais, par son grand frère Fernand, un homme tranquille qui se sent beaucoup plus à l’aise au milieu des livres de comptes qu’au volant d’un bolide soulevant un nuage de poussière. Il assure la gestion administrative et financière d’une main de maître. C’est lui qui organise la force commerciale de la marque en France et à l’étranger. En 1900, Renault Frères comporte 7 agents en France métropolitaine, 120, trois ans plus tard …On implante des filiales à l’étranger - en Angleterre, aux USA, en Allemagne, en Belgique. Renault exporte dans toute l’Europe et en Amérique du Sud. La gestion de Ferdinand est sage et efficace : éviter à tout prix les emprunts et assurer l’expansion phénoménale de l’entreprise grâce à ses fonds propres lui garantissant une totale liberté d’action et de choix stratégiques.
Louis continue bien évidemment à concevoir la nouvelle gamme Renault. Il s’agit désormais de créer des véhicules légers, abordables. Il est déjà dans l’élaboration de projets de véhicules de transports routiers et de transports en commun. Son credo : une mécanique qui tourne lentement est une mécanique qui dure longtemps. De 1905 à 1909, Renault va produire 2800 taxis pour la Compagnie française des Automobiles de place et 1100 pour la General Motor Club de Londres, et tout autant pour New York, avec une marge de 110% sur chaque véhicule.
Mais à trop vouloir se diversifier, on risque de rater une marche.
Tandis que Ford axe sa production sur le nombre, Renault s’éparpille et multiplie les enjeux : des autobus, des camionnettes, des camions, des ambulances, des moteurs d’avions et de bateaux. Louis pense que de l’offre viendra la demande, contrairement à Ford qui axe sa production sur un modèle unique : la Ford T, de 1908 à 1927 !
Louis rêve sans doute d’hégémonie et que tout ce qui roule porte son sceau, sur terre, sur mer et dans les airs. Son autre credo est l’indépendance : la marque doit produire la moindre pièce détachée et ne dépendre que de très peu sous-traitants qui se doivent d’être excellents. Il finit par acquérir une fonderie en 1905 et tout le matériel de fabrication de roues en bois de Michelin.
La pression économique contraint alors à améliorer le rendement des outils de production et des ouvriers. Le 9 Avril 1906, 1400 ouvriers sur 1600 cessent le travail réclamant une augmentation de salaire en rapport avec l’augmentation des cadences de production qui deviennent infernales. Les salaires étant revus partiellement pour les ajusteurs, les manœuvres et les conducteurs de machines, le travail reprend trois jours plus tard. Mais la colère gronde à nouveau ; on réclame la journée de huit heures, la semaine anglaise… Et en réponse au mécontentement des ouvriers, Louis, sans état d’âme, décide de fermer l’usine et de la faire surveiller par des militaires. Un courrier est immédiatement envoyé aux ouvriers leur demandant de se signaler comme reprenant le travail. Les absents à l’appel sont alors licenciés sans autre forme de procès. Rien d’étonnant dans une industrie où les syndicalistes sont considérés comme de dangereux meneurs dont il faut purger la société. Louis, dont le comportement confine à l’agoraphobie est terrorisé par les mouvements de foule emmenés par des meneurs qu’il imagine aisément un couteau entre les dents. Une anecdote rapporte qu’ayant été victime d’un accrochage, il aurait abandonné sa voiture, effrayé par la foule qui commençait à s’agglutiner. Il va donc traquer dans son entreprise les meneurs, persuadé qu’ils sont à l’origine des mouvements populaires qui le terrorisent.
En 1906, L’Automobile Club de France obtient enfin la levée de l’interdiction des compétions automobiles à la condition expresse que les épreuves aient lieu sur circuit fermé. C’est donc un Premier Grand Prix qui va être disputé au Mans, sur deux jours, 6 tours de 103 km pour chaque journée. De gros moyens ont été mis en œuvre avec un service d’ordre de 7000 soldats et 500 gendarmes. Louis Renault y engage trois voitures. L’épreuve est remportée avec une moyenne de 101 km/h de moyenne et grâce au nouveau système Michelin de jantes amovibles qui permet de changer les pneumatiques avec une vitesse record.
Cette victoire redore le blason de l’entreprise que Louis décide de modifier : la Renault victorieuse représentée dans le cercle d’un engrenage remplace les initiales entrelacées des trois frères.
Fernand décide brutalement de se retirer de l’affaire en raison de sa santé. Mais devant l’insistance de son frère qui ne voit pas du tout d’un bon œil son départ, il décide de rester un an supplémentaire avant de prendre sa retraite à 43 ans. La Société Renault Frères est alors dissoute comme le prévoyaient les statuts d’origine au profit de « Automobiles Renault ».
Le 22 Mars 1909, Fernand décède d’un cancer du foie.
C’est alors que Louis fait l’acquisition d’un domaine de 428 hectares dont 150 de bois en bord de Seine à une trentaine de kilomètres en amont de Rouen, à Herqueville. Il aménage le château de la propriété de façon luxueuse tout en négociant le moindre centime des aménagements somptueux qui se succèdent. Passionné de navigation, il développe une véritable flottille de plaisance qui le ravit : outre deux yachts de 18 et 36 mètres, de petits voiliers, des canots et des canoës viennent compléter les pavillons du bord de Seine. La vie est belle, émaillée de visites de personnalités ravies de venir passer quelques jours auprès d’un Louis qui sait se montrer jovial dans ce domaine dont il a rêvé toute sa vie.
A Londres, un de ses collaborateurs chargé de la filiale britannique, Georges de Ram découvre les théories d’un certain Frederik Winslow Taylor qui vient de mettre au point une méthode d’organisation du travail, scientifique, basée sur le fractionnement des opérations selon lequel chaque ouvrier effectue une seule opération. On engage un chronométreur en 1907 pour établir le temps nécessaire à chaque geste. Organisation qui in fine semble onéreuse et qui ne convainc pas complètement Louis. Néanmoins, il s’embarque en Avril 1911 pour les Etats-Unis dans le but d’étudier l’application du taylorisme à grande échelle. Et sa première visite est pour Henry Ford et la visite l’usine de Detroit où est produit le modèle unique et modèle phare. Louis est subjugué par la vitesse à laquelle est assemblée une voiture (93 minutes en 1914…). Il rejoint alors Philadelphia où sont organisées pour lui et ses collaborateurs des séances de travail. De retour en France, il lance les chronométreurs sur la piste de l’optimisation des tâches effectuées dans les ateliers. Mais le temps établi par ceux-ci ne semble pas réaliste et Louis n’a pas l’intention de faire la moindre concession.
Frederick Taylor
Henry Ford
Aussi, le 11 Février 1913, la grève générale est lancée demandant la suppression du chronométrage. Devant l’ampleur de la contestation, Louis, loin de proposer une négociation ferme l’usine qu’il fait protéger par 150 gendarmes tandis que les grévistes reçoivent un courrier recommandé leur indiquant leur licenciement. Les ouvriers contraints de venir chercher leur solde de tout compte se voient immédiatement proposé une lettre de réembauche que nombre d’entre eux pour certains ateliers, acceptent de signer.
L’usine rouvre ses portes le 19 Février sous une haute protection policière. Louis joue l’usure face aux grévistes restants en faisant venir du personnel supplémentaire du Havre et du Creusot. Cinq semaines de conflits qui viennent à bout des dernières volontés.
Il refuse la réintégration collective des grévistes dont plus de 400 ne seront pas réembauchés.
A partir de là, jusqu’à la fin de sa direction, Louis Renault n’acceptera plus jamais de recevoir ses salariés ni leurs délégués.
A la veille de la Première Guerre Mondiale, Louis Renault, 36 ans, est à la tête d’une entreprise de 5000 personnes et vient d’être élu Président de la Chambre syndicale des Constructeurs d’automobiles succédant à Armand Peugeot, où il réaffirme vouloir motoriser absolument tous les déplacements.
To be continued...
Article écrit par Marie-Catherine Ligny