Continuons la découverte des femmes remarquables du monde de l’Automobile et rendons-nous en Angleterre en 1882 où naît l’étonnante Dorothy Levitt, dont l’existence sera presque aussi fulgurante que les bolides qu’elle pilota.
Elle appartient à la bonne bourgeoisie anglaise dont les enfants reçoivent une éducation soignée, aux loisirs sportifs accomplis. On sait d’elle qu’elle est d’abord une cavalière talentueuse. Elle-même fera souvent le parallèle dans ses déclarations ou son journal intime entre les sensations éprouvées dans la maîtrise d’un pur-sang et la conduite rapide des épreuves sportives auxquelles elle participe.
C’est encore une rencontre qui ne lui met pas le pied à l’étrier puisqu’elle l’a déjà , mais les mains sur le volant d’une Napier. En 1902, elle a tout juste 20 ans et gageons qu’elle est particulièrement jolie. Selwyn Edge, coureur cycliste, motocycliste et pilote automobile est alors propriétaire de la firme Napier qui fabrique des voitures depuis deux ans. Il faut savoir que ces automobiles, bien avant l’avènement de Rolls-Royce, appartiennent à la marque anglaise la plus célèbre. Connue pour sa mécanique de précision, c’est la première firme à prendre sérieusement part aux compétitions automobiles. Et son sportman de directeur va bien aider à la renommée de la marque en gagnant la coupe Gordon Bennett cette année-là .
Bref, Selwyn repère, parmi les secrétaires de l’entreprise, Dorothy. On peut s’insurger que ces femmes brillantes, pilotes émérites – et on le verra recordwomen – arrivent dans les sphères jusqu’alors réservées aux hommes par l’intermédiaire d’une rencontre qui prend au départ un virage plutôt dirigé par les affaires amoureuses… Mais quand on connaît le contexte social du début du XXème siècle où les femmes sont régulièrement refoulées des épreuves sportives mécaniques pour cause d’instabilités nerveuses… Il est heureux que des hommes amoureux aient eu le désir de les voir s’affirmer dans des domaines dont elles étaient injustement exclues.
Et le Seldwyn lui colle un volant entre les mains. Ce n’est pas complètement innocent. Il espère ainsi, en visionnaire averti, promouvoir ses voitures. Il lui apprend à conduire et dans la foulée elle gagne en 1903 dans sa catégorie le Southsport Speed trial de Blackpool mais sur une Gladiator. Gladiator est une marque fondée par Auroc et Darracq pour fabriquer des bicyclettes, vendue en 1896 à un groupe anglais et associée à Clément pour construire tout d’abord des voiturettes et qui s’illustrera vite dans la production de sportives. La Gladiator est importée en Angleterre à partir de 1900. Le constructeur produira des automobiles jusqu’en 1920.
Devant ses qualités sportives, De Dion l’embauche illico, sûr de s’assurer ainsi une publicité retentissante. Ce qui ne manque pas d’arriver lorsqu’on la voit en 1904, coquettement vêtue, poser au Hereford Milles Miles Trial, un toutou de Poméranie charbonneux vociférant dans les bras.
Le lendemain, par dérision, tous les concurrents masculins de l’épreuve, arboreront accrochés au fuselage de leur automobile, d’affreuses peluches noires…
En 1906, elle bat le record de vitesse féminine, 96 mph (156 km/h) et c’est avec sa victoire sur le front de mer de Brighton au volant d’une Napier 80 ch verte que la consécration arrive. Napier l’intègre alors à part entière dans son équipe de compétition pour courir le Herkomer Trial en Allemagne qu’elle boucle sans difficulté. L’Angleterre inaugure son beau circuit de Brooklands … interdit aux femmes. Qu’à cela ne tienne, on la retrouve en France toujours avec Napier pour la course de côte de Gaillon. Et c’est là que se termine son épopée sportive automobile.
On la retrouvera morte à son domicile le 19 Mai 1922 à Londres victime semble-t-il d’une surdose de Morphine. Elle a tout juste 40 ans.
On retiendra d’elle que ce fut la première femme pilote de compétition automobile anglaise. Qu’elle portait des tenues extravagantes comme autant d’étendards de sa féminité. Elle initiera les femmes à la conduite et à la mécanique en rédigeant un manuel, The woman and the car, édition illustrée de photographies où elle détaille les arcanes de la conduite ainsi que les actions à effectuer pour l’entretien de son automobile, avec force détails assurant toujours de la facilité des gestes à effectuer …
Pour l’anecdote, elle y note de se munir d’un petit miroir à utiliser pour voir ce qui se passe derrière, ce que d’aucuns enregistreront comme la première mention d’un rétroviseur, et de ne jamais se déplacer sans un colt …Une vraie bible féministe où elle engage les femmes à l’usage de l’automobile, ce qui n’est pas une mince affaire, démontrant sa parfaite maîtrise du sujet. Et elle termine son ouvrage en citant ses contemporaines férues d’automobiles comme elle, dans une sorte de petit hommage qu’elle intitule « Distinguished women motoristes » où figurent les portraits de ces anglaises, toutes plus jolies les unes que les autres.
Mais surtout plus rapides.
Si le cœur vous en dit, cette curiosité de librairie a été rééditée par The Echo Library et est très facilement disponible en langue anglaise
Merci Ă Marie-Catherine Ligny pour cet article !