arrow right

📬 Courrier des lecteurs – Les Femmes dans l’Automobile #5 – Violette Morris

Violette Morris (1893-1944)

      Le 26 avril 1944, sur une petite route de Normandie, une voiture à cheval contraint une rapide et confortable Citroën 15 à ralentir. Surgissent alors des hommes armés arrosant d’un feu nourri les occupants du véhicule vite prisonniers de leur cercueil de tôle. Cette embuscade organisée par le réseau de résistance Surcouf aura permis de mettre à mort un couple de collaborateurs notoires, les Bailleul, leurs deux enfants de 15 et 16 ans et le chauffeur, Violette Morris.

Revenons sur le parcours de cette femme qui fut, dans les années 1930, l’une des plus grandes athlètes françaises et sans doute celle dont la mémoire fut la plus malmenée.
Non sans raison néanmoins.

A partir de 1914, avec la Première Guerre Mondiale, les femmes montrent à la société brutalement privée de ses forces masculines, qu’elles peuvent prendre le relais et être des actrices efficientes et courageuses dans un conflit qui fauche les forces vives du pays.
On les retrouve dans les usines à accomplir l’effort de guerre, dans les fermes à mener seules les moissons et les hivernages, au volant des taxis, des camions et des ambulances, conductrices expérimentées qui ne craignent ni les obus ni les heures de veille insensées qu’impose la violence des combats.

La guerre terminée, un vent de liberté souffle alors sur la société française. Les femmes se débarrassent de leurs longs cheveux pour des coupes courtes qu’elles couvrent de drôles de petites cloches leur donnant un air mutin; les corsets sont jetés aux orties et les tissus fluides épousent des corps que l’on veut libérés et hors d’entrave.

L’industrie automobile se recompose et ce sont des femmes, *Les Lionnes*, qui essaient les voitures à la sortie de l’usine Unic à Puteaux, plus professionnelles et appliquées, et surtout plus sobres que leurs homologues masculins. Les circuits reprennent du service, soignent leurs plaies ou voient le jour, Brooklands en Angleterre, Indianapolis aux USA, en Italie Monza, l’anneau à Montlhéry, le circuit de l’Avus à Berlin.
Parallèlement, apparaît un nouveau type de véhicule : le cycle-car, encouragé par la loi des finances du 30 Juillet 1920 instaurant une taxe fiscale forfaitaire visant à rendre accessible l’acquisition de ce type de véhicule au plus grand nombre. Est considéré cycle-car tout véhicule automobile à une ou deux places, pesant au plus 350 kg et dont le moteur présente une cylindrée ne dépassant pas 1 100 cm3. Immédiatement, des petits constructeurs apparaissent et produisent des voitures légères : Amilcar, BNC, Morgan, Salmson, Benjamin, accessibles à un jeune public féminin.
La France se motorise. Et la femme s’émancipe.

En 1916, Violette Morris a 23 ans, ambulancière pour la Croix Rouge, puis comme Estafette et en motocyclette, elle parcourt les lignes de bataille de la Somme défoncées par les combats.

C’est déjà une athlète accomplie. Elle aime le football, la natation, la course à pied, la boxe. Elle n’hésite pas à affronter des adversaires masculins. Dès 1919, elle affectionne un look qui ne la quittera plus, soigné mais très particulier, cravate, veston d’homme, pantalon de flanelle. On ne la verra plus qu’arborant outre une coupe de cheveux masculine soigneusement gominée, une cigarette aux lèvres comme pour affirmer dans une posture réservée aux hommes, une liberté de vie et une indépendance qui vont lui coûter cher.
A 24 ans, on lui doit deux records mondiaux, lancer de poids et lancer de javelot dans le cadre du premier Championnat de France d’Athlétisme féminin à Monte Carlo.

Son mari, aviateur de guerre, dont elle divorce après quelques courtes années de mariage, lui apprend à conduire. En 1922, on lui propose le volant d’un cyclo-car Benjamin pour le Bol d’Or où elle remporte le record du tour et une quatrième place. La même année, elle gagne le Paris-Les Pyrénées-Paris. En 1923, le Paris-Nice où elle gagne sa classe, la coupe d’Equipe, celle des dames et celle du Président de la République…

Elle brouille les genres et quand un journaliste un rien goguenard s’adresse à elle d’un *Bonjour Monsieur*, c’est tranquillement qu’elle le reprend d’un *Pardon… Madame.* Elle défie la morale et la société ouvertement. En 1927, elle gagne le Bol d’Or devant 18 hommes entraînés : 1700 km, une course de 24 heures, épreuve automobile sportive s’il en est qui demande énergie, sang-froid, endurance. La presse parlera d’elle comme d’un *solide gaillard* …
Elle adopte alors sa formule fétiche : “Ce qu’un homme peut faire, Violette peut le faire”.

On garde dans une mémoire biographique outrancière l’opération qu’elle demanda à subir auprès d’un de ses amis chirurgiens : on parlera d’elle comme de celle *qui s’est fait couper les seins*. Les Amazones se brûlaient le sein droit pour mieux tirer à l’arc, Violette qui dispose d’une opulente poitrine qu’elle dit la gêner dans le maniement de son volant, subit une réduction mammaire. Ce qu’on oublie de dire, c’est que dans les années 20 et pour correspondre aux nouveaux critères de beauté, les femmes se bandent les seins et se compriment la poitrine. Le genre androgyne est à la mode et nombreuses sont celles qui cèdent aux offres de chirurgie. Le souci de Violette est que son opération est médiatisée, elle la proclame et vient ouvertement choquer les bons esprits pour qui le destin de la femme est l’enfantement : sans sein point de salut maternel et la société patriarcale qui ronge son frein devant les débordements des jolies femmes des années 20 saura bien prendre sa revanche à partir de 1930 avec le retour de valeurs beaucoup plus conservatrices.

Violette devient l’amie du Tout-Paris qu’on dirait aujourd’hui LGBT, très en vogue à l’époque. Elle fréquente Joséphine Baker, on lui imagine une liaison avec Arletty, elle héberge Jean Cocteau sur sa péniche quai de la Muette, finance la représentation de sa pièce, *Les Monstres sacrés* et vit avec son actrice fétiche, Yvonne de Bray.

Ses victoires automobiles ne calment pas pour autant ses ambitions de sportive athlétique.

Mais cette femme au physique de plus en plus impressionnant se voit refuser en 1930 son adhésion à la Fédération sportive française féminine. On lui reproche ses attitudes, ses tenues, ses altercations avec les arbitres où dit-on elle n’hésite pas à jouer du poing, et son goût supposé pour les nymphettes dans les vestiaires des filles … Entre parenthèses, l’actualité récente nous a depuis prouvé que le sport peut générer bien des débordements de ce genre à mettre davantage au service de la gente masculine.

Elle conteste la décision et porte la Fédération devant les tribunaux. C’est une catastrophe. Là où devait se plaider le droit d’exister en tant que femme libre, se joue ce que les journalistes appelleront par dérision, *Le Procès du pantalon*. Car l’accusation s’appuiera sur une ordonnance qui date de 1800 interdisant aux femmes de porter un vêtement d’homme, et on lui reproche donc de « trop s’éloigner de ce qui est toléré par l’usage » …

Interdite de stade, elle change de vie. On la retrouve à la tête d’une boutique de pièces détachées automobiles. Elle se lance dans le music-hall et fréquente les hauts lieux lesbiens, très à la mode dans le milieu des années 30, les intellectuels et les artistes.

C’est la Seconde guerre Mondiale. Son garage est réquisitionné par la Luftwaffe. Violette a toujours rêvé de devenir aviatrice, de faire le tour du monde, d’aller jusqu’à New York pour expliquer la liberté et le sport aux femmes. Elle devient chauffeur, notamment pour Sarton du Jonchay, collabo notoire, secrétaire général du gouvernement de Pierre Laval, elle réquisitionne de l’essence destinée à des résistants à Cannes.

Et avec la fin de la guerre, on voit fleurir toutes les horreurs biographiques fantasmées dont on affuble désormais sa mémoire : invitée particulière d’Hitler au JO de 1936, Hitler n’ayant jamais constitué de listes d’invités particuliers, maîtresse d’Himmler, étonnant pour une femme qui afficha très tôt son homosexualité notoire, espionne envoyée par Pétain auprès des Allemands pour obtenir des informations à négocier avec les Anglais, gestapiste active et tortionnaire dont on détaille à loisir les perversités alors qu’aucun résistant ne témoigne de sa présence dans les salles de torture de la rue Lauriston, bien au contraire.

Ce jour-là de printemps 1944, elle roule sur cette petite route de L’Eure.

Rien ne dit que cette embuscade lui fut destinée. Aucun document ni témoignage pour aller dans cette direction. En revanche, dresser d’elle a posteriori le portrait monstrueux de la Hyène de la Gestapo qui collera désormais à son histoire diabolisée fut peut-être un bon moyen de s’acquitter de la bavure qui consista aussi à exécuter deux enfants, et par-dessus tout, de faire payer à cette femme qui ébranla les certitudes d’une société qu’elle inquiéta, sa facilité à brouiller les frontières du genre, à refuser la destinée procréatrice de la femme, et à battre les hommes sur le terrain de la compétition sportive.
Avec un prénom de fleur.

Merci Ă  Marie Catherine Ligny pour cet article đź’Ş

Crédits photos : Presse Sports / Fonds Excelsior, Getty images, Agence Rol

quote

Articles

arrow right