Quand en 1952, il est décidé que le championnat du monde des conducteurs se fera au volant de Formule 2, personne ne s’attend à une domination aussi outrageuse des Ferrari 500. Le manque de spectacle dû à la suprématie de la Scuderia incite les organisateurs du Grand Prix de Monaco à changer leur fusil d’épaule et de proposer que leur Grand Prix soit couru à bord de voitures de Sport, catégorie plébiscitée par les spectateurs que ce soit pour les Mille Miglia, les 24hrs du Mans ou la Targa Florio. L’épreuve se déroule hors championnat, mais ce n’est pas ce qui empêche les organisateurs de proposer deux plateaux alléchants en ce premier week-end de juin, un pour les moins de 2 litres, le deuxième, pour les plus de 2 litres. Bien entendu, c’est vers celui-là que se concentre toute l’attention du public présent en nombre.
Ce sont 25 voitures qui participent aux essais. Huit marques sont présentes avec l’avantage du nombre pour Ferrari, puisque les Italiennes sont au nombre de 9, essentiellement des 225S. Pour leur tenir tête, Jaguar est là avec 3 Type C, Talbot 4 T26 GS, Aston Martin 3 DB3 et Gordini une seule et unique Type 15S. Pour compléter le plateau, 2 Allard J2X, 1 Delahaye 135S et 2 Pegaso Z102 essaieront de tenir le rythme imposé par les favoris.
Les essais commencent le vendredi et c’est la Jaguar Type C de Stirling Moss qui fait le meilleur temps devant l’Aston Martin de Reg Parnell et la Talbot T26 de l’équipage Rosier/Trintignant. La deuxième et troisième séance d’essais confirment la pole position de la Type C avec cependant quelques bouleversements pour les autres voitures devant composer les deux premières lignes de la grille. Tout d’abord, c’est Levegh au volant de sa Talbot T26 GS qui vient se placer à égalité avec Stirling Moss en réalisant le même chrono malgré une voiture pas spécialement adaptée au circuit. La Ferrari 225S de Stagnoli carrossée en spyder par Vignale prend la 3e place. Derrière cette première ligne, on retrouve deux outsiders, Parnell sur une DB3 et Manzon qui place la toute nouvelle Gordini 6 cylindres 2,3l à côté de l’Anglaise.
Les autres Ferrari réalisent un beau tir groupé au milieu de la grille. Les dernières positions sont occupées par la Delahaye135S de Cotton, l’Allard J2 de Mascarenhas et Wisdom sur une Type C privée. Les Pegaso renonceront finalement à participer à l’épreuve, les séances d’essais ayant montré aux ingénieurs de la marque que les voitures ne sont absolument pas prêtes pour une telle épreuve, leurs temps, à plus de 7 secondes de la pôle, les auraient fait partir de l’avant-dernière ligne. Quelques casses moteurs et forfaits supplémentaires font que ce sont 18 voitures qui vont s’élancer le dimanche, charge à elles de faire honneur à leur catégorie et montrer à tous les spectateurs présents que l’Automobile Club de Monaco a eu raison de choisir les Voitures de Sport pour courir son Grand Prix annuel.
C’est sous un très beau soleil que les voitures se présentent sur la grille. Moss, comme c’est souvent le cas, réussit un départ canon et mène la course, devançant deux Ferrari et la Gordini de Manzon. Rapidement, les premiers abandons arrivent, à commencer par la Talbot de Levegh qui, depuis le début de la course, est victime de sérieux problèmes d’allumage.
Stagnoli sur la 225S Spyder a beau faire tout son possible pour suivre le train imposé par le leader, rien ne vient perturber la course en tête de la Jaguar Type C.
Mais c’est sans compter sur Manzon, le presque régional de l’étape. Celui-ci, en état de grâce sur sa Gordini 6 cylindres, remonte progressivement sur l’anglais en battant le record du tour à chacun de ses passages. Au 24e tour, devant des spectateurs déchaînés, il parvient à doubler la Type C et prend la tête de la course.
C’est alors que survient l’accident qui va bouleverser le déroulement de l’épreuve et anéantir les efforts de Manzon et de sa voiture bleue. Parnell qui se bat depuis maintenant quelques tours avec des problèmes de surchauffe sur son Aston Martin DB3, explose son moteur à Sainte Dévote avant de percuter les bottes de paille.
C’est le début d’une suite de tête-à-queue, glissades, percussions qui décapitent la course d’une bonne partie de ses participants dont les leaders. C’est d’abord Manzon qui vient percuter en marche arrière l’Aston Martin puis Moss qui ne peut contourner l’obstacle et vient s’encastrer dans les bottes de paille. L’Allard de Hume qui suivait à distance part elle aussi en glisse et vient s’échouer dans le tas de voitures immobilisées. Les commissaires tentent de parer au plus pressés, mais ce n’est pas moins de cinq voitures qui sont victimes de l’incident.
Moss a réussi à repartir, mais doit se retirer peu après pour avoir bénéficié d’une assistance extérieure lors du crash.
C’est avec beaucoup de chance que les Ferrari de Castellotti et Marzotto se retrouvent en tête et se livrent une lutte sans merci à coup de secondes. C’est dans les stands que la course va finalement se gagner. Alors que Marzotto ravitaille en moins de 50 secondes, Castellotti quitte les stands après plus d’une minute et dix secondes ce qui lui enlève toute chance de victoire.
La 225S Vignale l’emporte alors avec 15 secondes d’avance sur la 225S Touring. Stagnoli sur l’autre Spyder prend la troisième place, s’octroyant au passage le record du tour en 1’56’’4 soit près de 4 secondes plus vite que la pole de Moss.
Seulement huit voitures terminent la course, la dernière place étant prise par la Delahaye 135S de Cotton juste derrière la DB3 de Peter Collins qui connaîtra des jours meilleurs au volant d’une Aston Martin.
Ce sera la seule fois où le Grand Prix de Monaco sera couru par des Voitures de Sport.
L’épreuve qui a tenu en haleine tous les spectateurs présents donnera certainement des idées à certains puisqu'un Championnat du Monde des Marques sera créé en 1953. Ferrari en sera le premier vainqueur.
Ce n’est qu’en 1955 que l’on reverra les Formule 1 courir dans la principauté, le Grand Prix de Monaco ne s’étant pas disputé en 1953 et 1954.
Sources : Stirling Moss Archives, Pinterest, Formula Passion, SueHunt Archives, Soymotor, Ferrari Archives.