Au début des années 1960, Bertone est connu pour un être un excellent carrossier. Avec Giugiaro, la maison de design turinoise devient petit à petit incontournable. Tout va donc pour le mieux. Sauf qu’en 1963, un jeune designer approche Nuccio Bertone. Ce jeune designer, c’est Marcello Gandini. Si Giugiaro assurait, Gandini lui, va révolutionner. En 1965, Giugiaro quitte Bertone, Gandini arrive et l’association du designer prometteur et du carrossier avant-gardiste va faire des étincelles, ou plutôt des vagues.
1968, Gandini produit pour Bertone l’un de ses chefs-d’oeuvres les plus marquants, les plus influents, la Carabo. Chez Bertone, on s’inspire d’autre chose que du monde automobile. L’énorme scarabée vert en est la preuve.
Suivant cette voie, Gandini sévit à nouveau, un an après, avec la Bertone Runabout. La Bertone Runabout, c’est une voiture fonctionnelle avant d’être un concept car. Train roulant d’Autobianchi A112 (elle sera d’ailleurs badgée Autobianchi) et moteur Fiat quatre cylindres d’1.1 litres, monté en position centrale arrière, de manière transversale. Voilà pour la mécanique. La Runabout n’est pas un fantasme, mais un véritable voiture. Elle marche, et marche bien. L’auto avalera près de 10.000 km en essais. Pourquoi ? on y reviendra. Avant cela, revenons sur l’essentiel : le design.
On l’a évoqué plus haut, s’inspirer d’autre chose que les voitures fait partie de l’ADN Bertone. Pour la Runabout, quelques indices trahissent ses origines : absence de portes, boussole sur tableau de bord et arceau de sécurité stylisé. Ces trois éléments appartiennent aux Offshore, aux bateaux de compétition de la fin des années 1960. Bertone et Gandini puisent cette fois-ci leur inspiration dans le domaine nautique. L’auto est même pensée comme une voiture amphibie ! D’où l’absence de portières, les phares additionnels sur l’arceau et la fameuse boussole au centre du tableau de bord. En réalité, même la position du moteur est un clin d’oeil aux bateaux à moteur…
Enfin, faut-il évoquer les lignes et les formes “en coins”, propres à la “Wedge Era”, initiée par ce même Marcello Gandini ? Ce design novateur est clairement destiné aux jeunes, tout comme cette voiture. Son avant pointu, son arceau, son habitacle ouvert et ses couleurs soigneusement sélectionnées par son concepteur… La Runabout n’est pas une voiture de ville. Elle respire la liberté, le plaisir de conduite. Bref, une auto ludique produisant de véritables sensations. D’ailleurs, Gandini ne s’était pas trompé. Il adaptera son dessin à un autre chef-d’oeuvre, rimant avec ce même champ lexical du plaisir.
Car si la Runabout était un concept car fonctionnel, c’était avant tout une proposition sérieuse aux constructeurs. Fiat développera la X1/9 autour d’elle, d’où la boîte de vitesses et le moteur Fiat, et d’où les 10.000 km d’essais. Plus qu’un simple rêve, la Runabout était une promesse. Une promesse de voir ce concept, cette étude, être reprise, adaptée et produite. Celle qui adoptera le mieux cette robe sera sans doute la Stratos. Effectivement, Gandini avait réalisé un concept de ses propres mains, nommé Stratos Zero, qu’il présenta fièrement à Lancia devant l’usine et les ouvriers turinois. Mais il n’était pas question d’en faire une voiture de série. Alors pour ce contrat fraîchement décroché auprès de Lancia, Gandini dessina la Stratos en reprenant l’esquisse de la Runabout, dont la diagonale partant de l'arrière vers l’avant en était la principale caractéristique. Le museau pointu, et plongeant fut conservé, au même titre que l’arrière tronqué. Il y intégra un toit, ainsi que des portières. La Stratos était née. Le dernier point témoignant de la filiation entre les deux autos n’est ni plus ni moins que les passages de roues avant, dépassant avec élégance et ingéniosité du volume général. Pour les plus pointilleux, on pourrait même mentionner l’arceau, au même endroit, sur certaines Stratos…
Parfois oubliée, boudée ou admirée, la Runabout était présente à Rétromobile à l’occasion d’une exposition par la collection Bertone-ASI. C’était l’occasion de rencontrer ou de revoir ce petit concept novateur et attachant. Pour nous, c’était l’occasion de lui rendre hommage, un peu plus de 50 ans après sa création. Crédits Photos : Rainer W. Schlegelmilch