Dans l’histoire de la course automobile, il existe quelques pilotes qui n’ont pas eu une carrière à la hauteur de leur talent. Jean Behra fut de ceux-là. Il fut l'un des plus talentueux et attachants pilotes des années 50 et fut un des rares français à pouvoir rivaliser avec les meilleurs, de Fangio à Stirling Moss. Si la chance ne fut pas toujours de son côté, il ne l’aida pas non plus par ses choix et ses coups de sang. Portrait de celui qui enthousiasma toute une génération.
C’est le 16 février 1921 que Jean Behra naît à Nice. Très tôt, il se prend de passion pour les deux roues. Mais non motorisées d’abord, puisque c’est lors d’épreuves cyclistes qu’il remporte ses premiers trophées. Bien vite cependant, il se met à la compétition au guidon de motos de petites cylindrées. La guerre, qui vient d’éclater, l’oblige à remiser ses deux roues pendant quelques années. A la sortie du conflit, il revient à ses amours et remporte, au volant de sa Moto Guzzi, plusieurs titres de champion de France.
Malgré ses nombreux succès, c’est la course automobile qui reste son objectif.
Il participe à quelques épreuves et termine notamment 6ème au Grand Prix du Salonsur une Talbot Lago T26C qu’on lui a prêtée.
Le rallye de MonteCarlo 1950 va être pour Behra un événement capital pour le reste de sa carrière. Au volant d’une Simca 8 1100 coupé, il finit 3ème en compagnie de Julio Quinlin.
En fin connaissseur, Amédée Gordini remarque le jeune niçois et ne va pas tarder à lui proposer de venir rejoindre l’équipe Gordini.
En 1951, il commence à courir régulièrement au volant des voitures bleues préparées par le « sorcier de Suresnes ». Il termine notamment 3ème aux Sables d’Olonne en signant au passage le record du tour. Même s’il doit abandonner au 24hrs du Mans et au Bol d’Or, cette première année est encourageante pour le jeune et encore inexpérimenté pilote.
On attend beaucoup de lui pour la saison qui s’annonce. Il se sent bien chez Gordini et 1952 doit le voir s’affirmer. Il termine 3ème au GP de Berne en Suisse, avant de signer une première victoire à Aix les Bains. Mais ce n’est rien par rapport à la superbe course qu’il va faire au GP de France qui se déroule à Reims. Même si cette épreuve est hors championnat, elle regroupe la plupart des animateurs habituels de la Formule 1. Sur sa Gordini T16, il domine la course en gagnant devant Farina, Ascari et autres Villoresi, Moss ou Hawthorn.
Ce résultat va faire beaucoup pour la notoriété du niçois qui, du jour au lendemain se retrouve à la une de tous les médias.
Le reste de la saison sera plus mitigé. Un accident aux Sables d’Olonne l’oblige à faire l’impasse sur plusieurs courses importantes. Une fois remis, il obtient quelques places d’honneur. A la fin de l’année, on le retrouve 11ème du championnat du monde de Formule 1.
Un dernier challenge va l’amener fin 52 au Mexique pour y courir la Panamericana sur une barquette Gordini T24S. Alors qu’il domine brillamment la première étape et démarre la seconde sur le même rythme, il est victime d’une sortie de route qui l’oblige à l’abandon.
Alors que tout me monde attend sa première victoire en Formule 1, l’année 53 va être plus que décevante pour Behra. Ce ne sera qu’une succession d’abandons sur problèmes mécaniques ou accidents. Celui dont il est victime à Pau va d’ailleurs le tenir éloigné des circuits pendant plusieurs semaines. Son principal fait d’armes, c’est au Tour de France Automobile qu’il l’accomplit. Sur sa barquette 3litres, en compagnie d’Alfred Barraquet, il termine 2ème derrière l’Osca MT4 de Péron/Bertramier. Il faut dire que le coefficent attribué à chaque voiture en fonction de sa cylindrée avantage généreusement les vainqueurs.
Cette année décevante n’empêche pas Behra de rempiler chez Gordini pour la saison 54. Malheureusement, toujours en proie à des difficultés financières, l’équipe a du mal à fiabiliser ses voitures, faute de pouvoir les tester suffisamment longtemps.
Au volant de la nouvelle F1 de 2,5l de cylindrée, le niçois termine 5ème à Buenos Aires après avoir abandonné au GP d’Argentine. Il faudra attendre Pau pour assister à sa première victoire de l’année. Avec sa T16 , il domine Trintigant et sa Ferrari 625. Mais la fin de la saison n’est qu’une suite d’abandons sur problèmes mécaniques. Le moral de Behra est atteint et cela se manifeste régulièrement par de violentes colères qui ne passent pas inaperçues dans le paddock. Il est temps pour lui de quitter l’équipe française afin de donner un second souffle à une carrière qui patine un peu.
C’est chez Maserati qu’il va rebondir. La marque au trident est encore, à cette époque, une des écuries phares des plateaux, aussi bien en formule 1 qu’en endurance. En F1, avec sa 250F, il va vivre une saison en demi-teinte où ses meilleurs résultats seront une troisième place à Monaco et une 4ème à Monza sur une voiture recarrossée pour l’occasion en version« streamliner ».
C’est hors championnat qu’il obtient ses plus beaux succès en gagnant à Pau et Bordeaux.
En 1956, Stirling Moss rejoint l’équipe. Avec le français, ils vont former un duo de choc. Behra débute fort bien l’année en terminant 2ème en Argentine et 3ème à Monaco où Moss l’emporte. A la fin de la saison, il aura fini trois autres fois sur le podium ce qui lui permet de clôturer le championnat à une très belle 4ème place avec 22 points. C’est son meilleur résultat et cela le restera.
En endurance, il s’offre deux victoires à Montlhéry et au Nürburgring, chaque fois sur une Maserati 300S.
En 1957, c’est avec Fangio qu’il va faire équipe, Moss étant parti sous d’autres cieux. S’il gagne plusieurs courses hors championnat, il n’arrive pas à concrétiser dans les épreuves phares alors que Fangio, sur une même auto, domine la concurrence.
Maigre consolation, il gagne avec l’argentin les 12hrs Sebring sur une 450S.
Il l’emporte aussi en Suède, toujours sur 450S. Cette fois-ci, c’est Moss, revenu faire quelques piges en endurance chez Maserati, qui est son coéquipier,
Même si ses résultats sont plus qu’honorables, il décide de quitter l’écurie italienne et s’engage chez BRM.
Malgré toutes ses qualités, Behra, au volant d’une auto vite dépassée, va vivre une saison de Formule 1 faite d’exploits éphèmères, comme au GP de Monaco qu’il mène avant de devoir abandonner sur problèmes de freins, et de grandes désillusions. Il termine le championnat à une modeste 10ème place, très loin de ses ambitions.
C’est en SportPrototype et en formule 2 que le niçois va réaliser ses meilleures performances. Avec son Spider RS, il finit 3ème à Bueno-Aires et 2ème à la Targa Florio. A Rouen, il décroche la victoire avant de terminer 3ème aux 24hrs du Mans au volant d’une 718 RSK 1600cm3 qu’il partage avec Hans Herrmann.
Il finit ensuite 4ème au Tourist Trophy derrière 3 Aston Martin avant de l’emporter à Berlin sur le circuit de l’Avus et de terminer 4ème à Riverside en devançant des voitures beaucoup plus puissantes.
En F2, il l’emporte à Reims lors de la coupe Internationale de Vitesse. Pour l’occasion, à sa demande, un spider RSK a été modifié pour en faire une monoplace à conduite centrale mieux profilée.
En ce début de saison 1959, tout le monde pense que son heure va finir par arriver quand il s’engage avec la Scuderia. Mais cela ne va pas du tout se passer comme prévu.
Les débuts sont encourageants en endurance puisqu’il termine 2ème aux 12hrs de Sebring sur une 250TR et 3ème au Nürburgring. Après avoir abandonné à la Targa Florio, son coéquipier Tony Brooks est sorti de la route, il participe aux 24hrs du Mans en compagnie de Dan Gurney. Dès le départ, une lutte sans merci s’engage avec Moss et son Aston-Martin. Les deux hommes s’échangent régulièrement la tête de la course et les records du tour. Malheureusement, la Ferrari doit abandonner sur un problème mécanique à la 10ème heure.
En Formule 1, la Dino 246 a du mal à concurrencer les agiles Cooper. Behra se bat avec ses moyens et a tendance à solliciter sa mécanique plus que de raison. A Monaco, après avoir mené la course, il doit abandonner sur un problème mote.
Après avoir terminé 5ème à Zandvoort, c’est à Reims que va se jouer l’avenir du français. Behra se plaint d’avoir un moteur moins performant que ses coéquipiers. Pendant la course, et après un départ raté, il abandonne, non sans avoir fait une belle remontée. Brooks et P Hill assurent le doublé pour la Scuderia ce qui ne fait qu’accentuer la frustration de Behra. A la fin de la course, une violente dispute se déroule entre le niçois et Tavoni le directeur technique. Le français gifle l’italien. S’en est fini de son expérience chez Ferrari.
En parallèle, il continue à piloter pour Porsche. Le premier août, sur le circuit de l’Avus, au volant d’un spider 718 RSK privé, c’est l’accident fatal. Sur une piste détrempée, alors qu’il s’évertue à suivre le rythme imposé par le leader, Behraglisse et vient percuter un support en béton autrefois utilisé comme support à une batterie de DCA. Behra est éjecté de sa voiture et décède sur le coup.
A moins de 40 ans, disparaît un des plus brillants pilotes français de l’après-guerre. Doté d’un caractère bien trempé, opiniâtre dans l’effort, téméraire, peut-être trop, Jean Behra n’aura sans doute pas eu une carrière à la hauteur de son talent. Pas assez calculateur, il aura manqué le coche là ou d’autres, plus« raisonnables », auront su attendre leur heure pour remporter de prestigieuses victoires. Trop adepte du « ça passe ou ça casse », il n’aura que trop rarement obtenu les résultats que l’on pouvait espérer.
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