Malgré ses cinq victoires en Grand Prix, ses deux premières places à la Targa Florio, au Mans ainsi qu’aux Mille Miglia, la marque du cheval cabré était en 1951 pratiquement inconnue de la plupart des concurrents de la Carrera Americana. Les Ferrari avaient pour elles d’être plus légères que la plupart des Stock-Cars américaines ; elles avaient par ailleurs l’expérience des routes sinueuses de l’Europe et disposaient de toutes les ressources mécaniques indispensables pour affronter les longues lignes droites des déserts du Nord du Mexique où elles pouvaient atteindre sans problème 225 km/h. En outre leur capacité initiale en essence et leur consommation leur permettaient de ne pas s’alourdir d’un réservoir supplémentaire.
Dans l’équipe Ferrari, on retrouve Taruffi qui partage sa voiture avec le vainqueur du Mans 1949, Luigi Chinetti. L’autre coupé est piloté par Alberto Ascari, âgé de 32 ans, qui se tuera en 1955 à Monza, second derrière Fangio au Championnat du Monde des pilotes cette année-là. Son co-pilote est Luigi Villoresi, vainqueur des Mille en Avril 1951. Considéré comme le meilleur pilote d’après guerre, il affiche en outre une expérience à Indianapolis sur Maserati en 1946.
Avec tout ce beau monde, il semble bien que la Carrera va pouvoir mettre à l’honneur Ferrari pour sa seconde édition de 1951. La principale menace, le concurrent le plus sérieux est sans doute incarné par Lancia qui s’est confronté à Ferrari toute la saison sur les circuits européens et qui s’apprête à vivre le même challenge au Mexique. Sobres, non spectaculaires mais rapides et agiles, les Lancia étaient potentiellement des concurrentes dangereuses avec à leur volant Giovanni Bracco, vainqueur du Mans, dans la catégorie des 2 litres, présent sur une B20 GT 1991cc équipée d’un V6 avec lequel il avait terminé second aux Mille Miglia ; Felice Benetto qui avait conduit son Alfa Romeo à la sixième place de la première édition, est au volant d’une seconde B20 GT.
Celle-ci arrive par bateau à New-York le 12 Novembre 1951. Bonetto a trouvé un sponsor en la personne de John Bond, éditeur du Road et Track Magazine qui va l’aider à atteindre la ligne de départ à Tuxtla Gutiérrez, en contrepartie de quoi, il portera les initiales du magazine peintes sur la carrosserie. La voiture quitte New York immédiatement pour Dallas avec Bill Brehaut chargé de la convoyer, ce qui lui permet d’espérer d’être dans les temps pour l’inscription et les contrôles. La voiture doit effectuer une partie du voyage en avion. Mais celui-ci est contraint d’atterrir en raison d’un problème technique. Ce délai de transport supplémentaire peut vite devenir catastrophique. Mais le Ciel était avec Bonetto ce jour-là puisque les officiels acceptèrent de retarder le délai d’inscription au 19 Novembre. Le 18 Novembre, à 16 h 30, soit exactement 36 heures avant le signal du départ de la course, Brehaut quitte l’aéroport de Dallas pour un trajet de plus de 4000 km pour rejoindre Tuxtla. Après s’être perdu à Monterrey, puis à Mexico, celui-ci arrive à destination avec une moyenne de 96 km/h et une consommation tout à fait raisonnable à l’issue d’une course d’endurance qui n’était pas au programme !
On retrouve aussi sur la ligne de départ la Delahaye Type 175 de Jean Trévoux arrivée en 12ieme position à l’édition précédente mais conduite par un Louis Chiron de 52 ans, qu’on ne présente plus, fort d’une carrière de pilote de plus de 30 ans, vainqueur de dix Grands Prix sur Bugatti et Talbot, et une septième position en 1929 avec une Delage pour les 500 Miles d’Indianapolis.
En face se prépare le camp des Stock-Cars et celle qui semble être à abattre, la nouvelle Chrysler V8 avec son moteur baptisé « FirePower » comme la révolutionnaire Cadillac V8 de 1949. Bill Sterling qui avait gagné la plupart des courses en 1950 se trouve en tête de liste. Briggs Cunningham a préparé pour sa part une Saratoga V8 pour le pilote Phil Walters. Ainsi quinze des nouvelles Chrysler dont quatorze Saratoga allaient prendre le départ de l’épreuve cette année-là.
Quinze Oldsmobiles sont inscrites à la course, pilotées par des mexicains.
Hershel McGriff, le vainqueur de l’édition précédente est présent lui aussi ainsi qu’un essaim de Hudson Hornets mené par Red Byron, champion de Nascar. Un pilote, Swede Hansen, porte fièrement le no 13 assurant haut et fort ne pas être superstitieux. On retrouve aussi Al et Ralph Rogers, les frères de Colorado Springs, arrivés en troisième position à la précédente Carrera, avec une nouvelle Cadillac.
Venus d’Albuquerque, Jerry Unser et son fils de 17 ans Bobby pilotent une Jaguar Mk VII sedan.
Seulement trois Lincoln concourent, dont Ray Crawford et Walt Faulkner les seuls pilotes américains représentant la marque. Crawford, propriétaire de supermarché californien et pilote amateur avait simplement participé à la dernière étape de la première édition. Après avoir essuyé de refus de Lincoln de lui préparer une voiture, il décide d’en acquérir une et de participer en son nom propre.
Tandis que la course se profile, les autorités mexicaines interdisent l’entrée à 35 concurrents américains à moins qu’ils ne s’acquittent de droits à payer sur les pneus qu’ils transportent et quand on sait qu’en moyenne la course va nécessiter 18 pneus, on peut tout à fait imaginer le coût supplémentaire que cela implique. Hershel McGriff se positionne en chef de la protestation et finalement cette disposition va être abandonnée à la condition de déclarer le nombre de pneus utilisés à la fin de la course avant de quitter le territoire.
On a vu que la compétition va suivre un trajet revu de la première édition. Aussi elle débute à Tuxtla Gutierrez par 1500 km d’asphalte s’étendant sur un territoire mexicain tout de même un peu intimidant malgré le confort que cela semble proposer pour un début. A la première édition, les moyennes de vitesse étaient au départ élevées et le rythme rapide pour se terminer dans les massifs montagneux où évidemment tout le monde se trouvait ralenti. Mais tenir les dernières étapes, ce qui n’était pas donné à tous étant donné les reliefs, pouvait assurer une victoire. Cette édition de 1951 demandait à mettre en place une nouvelle stratégie. Les voitures rapides pouvaient évidemment compter gagner du temps sur la partie de course dédiée à des routes larges et plus aptes à la grande vitesse mais aussi sur les routes de montagne avec un certain entraînement et une vraie résistance de la mécanique et des pneumatiques. Alberto Ascari et Piero Taruffi avaient confiance en leur Ferrari qui assurait un rythme de course largement plus performant que les autres marques. Aussi pouvaient-ils économiser les pneus en n’emportant qu’une double paire de rechange, avec pour objectif de préserver le caoutchouc autant que faire se pouvait ; le plan était relativement simple : être vigilant dans les zones montagneuses et tout donner sur l’asphalte.
La course prit le départ le 20 Novembre 1951. La stratégie des Ferrari était bonne, au moins sur le papier. Mais la piste de la première étape était recouverte d’un asphalte fabriqué avec de la lave volcanique propre à user rapidement jusqu’à la corde les pneumatiques des voitures les plus rapides. Ce qui arriva à nos deux Ferrari. Après 4 heures de course, un bon tiers des voitures étaient ou stoppées le long de la voie, ou éparpillés dans les canyons mexicains.
Hershel McGriff partit dans les premiers lorsqu’il se mit à perdre de l’essence avec la fuite d’une durite. L’essence se répandit sur le moteur brûlant qui prit instantanément feu. La voiture ne possédant pas d’extincteur, le pilote n’eut d’autre solution que de se garer et de s’extraire le plus rapidement possible du véhicule tandis que son co-pilote, déclara-t-il plus tard, prenait des photos de l’incendie ! La voiture fut réparée par la suite et lui permit de faire une belle saison 1951 dans les épreuves de Stock Car.
José Estrada Menocal, un pilote mexicain annonça au départ de la course qu’il triompherait ou mourrait. Ce fut hélas des propos prophétiques puisqu’il trouva la mort ainsi que son co-pilote Miguel Gonzales dans la chute de sa voiture dans un ravin. John Fitch en tête des Chrysler, en raison d’une panne due au dysfonctionnement d’un clapet de décharge régulant la pression d’huile, se vit dans l’obligation d’abandonner à six kilomètres de la ligne d’arrivée. Bracco connut un souci de carburation avec sa Lancia qui le relégua à la 54 ieme place. Et Felice Bonetto eut un problème de joint de culasse et dut se résigner à vendre sa voiture sur place incapable de payer le trajet de retour pour l’Italie. La pilote Jacqueline Evans Lopez détruisit sa Chrysler et Tony Bettenhausen le système de freinage de sa Saratoga.
Le vainqueur de la première étape fut Jean Trevoux avec sa Packard mais la surprise vint pour la seconde place : Troy Ruttman et Clay Smith dans leur Mercury. Ils arrivèrent seulement 7 minutes après le pilote français et devinrent immédiatement les héros du jour.
Il restait 68 voitures en lice à l’issue de cette première étape.
A 150 kilomètres de Oaxaca, l’Alfa Romeo pilotée par Carlos Panini et sa fille Teresa entra en collision avec une Jaguar Unser en essayant de doubler sur une étroite route de montagne. Ejecté brutalement contre la roche du flanc de la montagne, Panini fut tué sur le coup. La mort du fondateur de la première compagnie aérienne du pays provoqua la consternation dans la presse qui jura que cette édition serait sans aucun doute la dernière, et le scandale fut à son comble lorsqu’on découvrit que Panini souffrait d’épilepsie et ne possédait pas de permis de conduire.
Tandis que les amateurs de voitures de sport étaient atterrés des piètres performances des Ferrari pour leurs débuts et des Lancia qui allaient bien se rattraper sur les étapes suivantes, Ruttman qui termina la seconde étape cinquième prit la tête du classement général. Les Ferrari dont les trains Pirelli avaient souffert au cours de la première étape, avaient été remplacés par des pneus mexicains, des Goodrich-Euzkadi qui avaient montré une sacré résistance aux conditions de pilotage extrême. Chiron, sixième, fut disqualifié pour avoir changé un pneu au cours de l’étape de Puebla. Les 130 kilomètres de Puebla à Mexico comportaient la dernière série de virages en épingle à cheveux et Ruttman mena Ascari sur pratiquement toute l’étape. Mais celui-ci eut sa revanche sur le dernier kilomètre en le doublant sans précipitation.
La surprise vint de l’autre Ferrari, celle de Piero Taruffi. Parti troisième une minute avant Ruttman, Taruffi battit l’américain à Mexico avec 7 minutes d’avance, battant le record de vitesse avec une moyenne de 139 km/h. Giovanni Bracco arriva second et Jack McAfee en Cadillac troisième.
Pour l’étape finale, on estima que plus de 200 000 personnes s’étaient installées sur le parcours. Lorsque la première voiture fut signalée par avion, les sirènes retentirent ainsi que les sifflets : c’était la Chrysler de Tony Bettenhausen rugissant à plus de 209 km/h avec un record de vitesse de 182 km/h. Le pilote surgit de sa voiture déclarant : - Je suis bien content que ça se termine ! Les deux voitures qui suivirent étaient les Ferrari de Taruffi et d’Ascari, passant triomphalement de concert la ligne d’arrivée, bien que Taruffi soit en avance de 8 minutes sur Ascari. Bill Sterling et Troy Ruttman étaient devenus les favoris des spectateurs, Ruttman en raison de sa jeunesse et Sterling parce qu’il représentait le texan type, grand, mince et d’une nonchalance placide. Celui-ci finit troisième distanciant Ruttman de quelques minutes. Trevoux occupa la cinquième place. Royal Russel, furieux de sa onzième place s’insurgea en déclarant que la Panamericana était une course réservée aux Stock Cars et que les Ferrari, voitures de course, n’avaient rien à faire là. Il les accusa aussi d’avoir trafiqué leur essence apportant comme argument l’odeur dégagée par les mécaniques des belles italiennes.
Taruffi avec une moyenne de 182 km/h gagna la course avec 1 heure 22 minutes de moins que la précédente édition. Celui-ci y gagna le surnom de El Zorro Plateado, Le Renard argenté, et un nouveau mot fut créé en son honneur « tarufear » qui signifiait « conduire vite ». Son co-pilote, récompensé par Enzo Ferrari en personne, fut nommé distributeur de la marque pour l’Amérique du Nord. Les deux voitures victorieuses furent vendues sur place et apparurent dans l’édition de 1952 conduites par des mexicains.
La seconde édition de la Carrera eut peu à voir avec la précédente : les voitures étaient clairement mieux préparées et plus performantes donc, les pilotes étaient pour la plupart des pilotes professionnels et pour certains au palmarès déjà prestigieux. Et la compétition, ayant gagné en notoriété allait attirer d’autres équipes de constructeurs dès 1952 pour sa troisième édition.
To be continued