La Panamericana se trouvait être la dernière course du calendrier du Championnat du Monde des constructeurs et en Novembre 1954, Ferrari détenait le titre mondial bien avant le départ de la course. Stirling Moss avait tenté de convaincre la direction de Jaguar d’engager une équipe de Type D mais celle-ci ne voyait pas pour quelle raison elle aurait dû prendre le risque d’abîmer des voitures, de mettre en danger une réputation bien assise pour une cause perdue d’avance. C’était certes une bonne décision de management mais qui réduisait un peu les confrontations qui auraient pu se révéler pour le moins intéressantes.
Benz avait tenté de revenir au Mexique en préparant une voiture susceptible de succéder à la brillante 300 SL, une étonnante 300 SLR mais les aléas de la préparation rendaient difficile son inscription avant Avril 1955.
Ainsi la cinquième édition se résumerait pour la tête à une bataille rangée entre les pilotes Ferrari au nombre de neuf. Umberto Maglioli et l’importateur américain McAfee piloteraient une 375 Plus, une voiture parmi les plus puissantes, dotée d’une carrosserie Pinin Farina, modèle avec lequel l’équipage Gonzalès-Trintignant avait gagné Les 24 Heures du Mans cette même année. Luigi Chinetti serait au volant d’une Ferrari 375 MM co-drivée par John Shakespeare, fabricant de matériel de pêche. Giovanni Bracco sur Ferrari aussi décidait de tenter un troisième essai et de terminer la course cette fois-ci, avec une 750 Monza, un prototype doté d’un moteur basé sur le 4 cylindres Type 555.
Avec deux arbres à cames en tête et une puissance tout à fait respectable, le groupe moteur développait un couple particulièrement élevé qui rendait la conduite réellement impressionnante. Pour ce modèle, toutes les carrosseries étaient fabriquées par Scaglietti selon un design de Dino Ferrari.
On retrouvait aussi avec un volant Ferrari Alfonso de Portago, et Porfirio Rubirosa, play-boy dominicain et accessoirement mari de Barbara Hutton sur une Ferrari 500 Mondial avec Ernie McAfee ; une Pegaso Z 102BS fabriquée par Hispano Suiza à Barcelone, conduite par Joachim Palacio sous les bons auspices du Président de la République dominicaine Rafael Leonidas Trujillo Molina en personne.
Austin Healey décida d’envoyer une modeste équipe de deux 100 S Roadster pour Caroll Shelby accompagné de Lance Macklin.
Jean Trevoux revenait en lice avec sa Panhard Special. Le Caballo de Hiero était de retour lui aussi, affublé d’un nouveau surnom populaire, L’Ensalada, qui en disait long sur sa curieuse composition, nouvelle mixture de voitures américaines, préparée et revue grâce à l’expérience de la quatrième Panamericana. Miller avait passé l’année à la reconstruire et offrait aux Mexicains un contraste étonnant avec les très belles et très chères Ferrari. Un journaliste demanda dans une intention sans doute un peu provocatrice, à l’aristocratique Rubirosa de se mettre au volant de la voiture de Miller, ce qu’il écarta sans surprise, accompagnant son refus d’un vocabulaire peu aristocratique pour le coup.
Dès la première étape, la Ferrari de Jack McAfee et de Ford Robinson fut annoncée en avance. Malheureusement, en raison d’une crevaison, la voiture s’encastra dans un mur avant de tomber dans un ravin. McAfee fut juste contusionné tandis que son co-pilote était tué le cou brisé. Arrivaient immédiatement deux autres Ferrari, la blanche et bleue de Phil Hill et la 19 rouge de Maglioli. Bracco, le célèbre pilote de montagne, le seul capable de battre Maglioli avec Hill aurait dû arriver rapidement s’il ne s’était pas échoué sur le bord de la route, victime d’une panne brutale. La Ferrari de Portago rompait sa pompe à huile, celles de Rubirosa et Bonomi eurent de graves ennuis mécaniques ainsi que la Healey de Macklin arrivait hors délai. Shelby perdit ses pare-chocs avant mais continua et arriva 6eme.
A 16 km du départ de l’étape suivante, Ak Miller croisa la Ferrrai de Rubirosa sur le bord de la route, le moteur fumant. Aussi, eut-il l’occasion de rendre la monnaie de sa pièce au pilote méprisant avec un joli signe du doigt, typiquement américain ou pas d’ailleurs.
Hill battit Maglioli de 4 minutes 9 secondes et Franco Cornacchia de plus d’une demi-heure à Oaxaca. Miller termina quatrième. Le Caballo était vite devenu le favori de la foule des spectateurs comme symbole de la lutte du petit engagé contre les gros moyens des teams d’usine. Les voitures de course avaient d’ailleurs perdu 12 de leurs membres à ce stade de la course. A Atlixco, Hill ralentit afin de préserver les spectateurs disposés en masse le long de la route étroite. Ce que ne fit pas Maglioli qui déboula comme un diable le doublant avec 3 minutes d’avance. Cornacchia termina l’étape troisième avec sa Ferrari 250 Monza, la Pegaso de Palacio fut quatrième, Miller cinquième et Luigi Chinetti avec sa 375 MM sixième.
Shelby fit une sortie de route avec son Healey sur cette seconde étape et se brisa un bras dans l’accident. Des années plus tard, il raconta comment il n’avait pas pris conscience de sa fracture, et comment il avait attendu assis au bord de la route les secours 6 ou 7 heures. Un touriste américain passa et lui donna une bière, puis un Mexicain une bouteille de Tequila et lorsque l’ambulance arriva, il reconnut ne plus être très frais non pas tant par sa blessure que par le réconfort apporté par les boissons proposées.
Un accident au nord de Mexico toucha plusieurs participants à la quatrième étape. Karl Bechem perdit le contrôle de son véhicule et Palacios arrivant en trombe, perdit à son tour le contrôle de sa voiture et fit plusieurs tonneaux. Le conducteur éjecté, la Pegaso continua malgré tout sa course folle dans un champ heurtant et tuant un soldat, et termina dans les flammes. Peu après, alors que le lieu de l’accident était encore fumant, Franck Davis rata un virage et conduisit sa Dodge dans le même champ. Il put néanmoins réparer sa voiture et reprendre la course.
Chiron seul vrai concurrent des Porsche avec son Osca MT4 prit une vitesse de croisière en direction de Durango, pensant être à cours d’essence. Il avait simplement oublié posséder un réservoir d’essence surdimensionné et se présenta à l’arrivée avec une quantité de réserve indécente. Une équipe de production hollywoodienne qui tournait dans la ville un film avec George Montgomery préféra cesser le tournage le temps du passage de la course afin sans doute d’éviter d’avoir les rugissements des voitures sur la bande son d’un film se passant au 18eme siècle.
Miller et son Ensalada continua la course avec sa voiture atypique à une vitesse défiant tout pronostic. A Leon, il fit le plein et changea ses deux pneus sans que personne ne pense à en vérifier la pression.
L’un d’eux était à moitié à plat et Miller dut rouler à moins de 177 km/h juste pour se maintenir dans la course. Il se retrouva cinquième à l’arrivée de l’étape. Maglioli alors en tête dut se livrer à un exercice périlleux : la partie métallique du siège vide de son copilote menaçant de se détacher, il fit la route en la retenant d’une main tout en conduisant de l’autre pour finalement la lâcher à quelques kilomètres de l’arrivée.
Hill tomba en panne d’essence et perdit 25 minutes. Chinetti arriva second ayant trouvé la vitesse pour dépasser Miller et passa alors 4eme au classement général.
Le dernier jour de la course, les avions de l’aéroport qui longeait l’autoroute furent les premiers à repérer la Ferrari rouge de Maglioli suivie immédiatement de la blanche et bleue de Hill. Celui-ci gagna la dernière étape mais Maglioli avait 24 minutes d’avance au classement général avec une moyenne de 174 km/h sur toute la durée de l’épreuve, battant le précédent record de Fangio de 30 minutes.
A l’arrivée, tous les regards furent pour Miller dont la personnalité et la ténacité avaient subjugué le public, indépendant qui avait combattu aux côtés des plus grandes teams et leur avait bien souvent damé le pion, ce qui lui vaudrait d’être invité l’année suivante avec son étonnant engin aux Mille Miglia.
Hill bien que non classifié comme un coureur professionnel alors, devait devenir Champion du monde en 1961 avec Ferrari.
Des projets furent faits pour la course de 1955 qui serait, disait-on, la plus importante, la plus longue et la plus incroyable course sur route ouverte du monde.
Cette épreuve du championnat du Monde avait été conçue et imaginée dans la précipitation et connut malheureusement une destinée aussi fulgurante en disparaissant après seulement cinq éditions.
En 1954, de nombreuses pressions se firent entendre pour mettre fin au carnage que ce soit dans les rangs des comités sportifs, des églises ou même des Etats : 26 morts en 5 ans et principalement des spectateurs. Ces cinq années furent néanmoins sans aucun doute celles du développement le plus impressionnant de l’Histoire de la course automobile. La Carrera Panamericana fit découvrir aux Américains et aux Européens un pays dont il faut bien l’avouer, ils avaient une idée un peu surannée, pour découvrir un peuple enthousiasmé par la course, les voitures et les concurrents. Miller raconta comment lors d’un voyage au Mexique 30 ans plus tard, il fut reconnu et salué comme au premier jour. La Carrera était vraiment une course mexicaine, dirigée par des règles mexicaines et si vous vouliez participer, il s’agissait d’en prendre conscience et de faire avec.
Abandonner la course après 1954 fut sans doute une sage décision. Six mois plus tard, la tragédie des 24 heures du Mans avec la Mercedes 300 SRL plongeant dans la foule et tuant 80 personnes l’entérina et conforta l’idée qu’il fallait sécuriser la compétition automobile. Cette compétition, une des dernières aussi longue et aussi impressionnante sur route ouverte, restera sans doute dans les mémoires collectives comme la course automobile la plus iconique de ce type d’épreuve.
Il fallut attendre 1988 pour qu’elle renaisse de ses cendres.
Depuis cette date, chaque année, des véhicules des années 1950 à 1970 se disputent le titre prestigieux sur un tracé long de 3 400 kilomètres.
Mais ça, c’est encore une autre histoire.
To be continued