Contrairement à ce que le titre pourrait laisser croire, je ne vais pas vous parler des déboires de Bill Clinton pour cause d’affaire Monica Lewinsky, mais du lancement à demi-avorté d’une nouvelle voiture de luxe française à la fin des années 60.
En 1967, toutes les grandes marques françaises de voitures de luxe ont disparu. La guerre est passée par là et le manque de moyens et de soutiens ont eu raison de leurs existences.
Facel Vega a bien essayé de reprendre le flambeau, mais a dû, elle aussi, renoncer trois ans plus tôt.
Le marché de la voiture de luxe est étroit et le chemin pour y arriver tortueux ce qui ne va pas rebuter un industriel français , Mr Jean Tastevin.
PDG de la Compagnie Française des Produits Métallurgiques, passionné d’automobiles, il possède ou a possédé plusieurs Jaguar ou Aston Martin et il n’arrive pas à trouver sur le marché une voiture capable de véhiculer toute sa famille dans le confort souhaité tout en ayant les performances d’une sportive. Qu’à cela tienne, il fabriquera cette voiture lui permettant de répondre exactement à son cahier des charges.
Son activité d’industriel est spécialisée dans le ferraillage de matériels ferroviaire à laquelle, il a ajouté une filiale spécialisée dans la conception de wagons de marchandises à vendre ou en location. Elle fonctionne bien, mais, il souhaite anticiper un ralentissement probable de son activité et cherche ainsi un moyen de se diversifier. La future activité automobile sera cette diversification voulue.
Le projet est lancé en 1966. Une des premières décisions prise par l’industriel est de donner le nom de Monica à sa future réalisation, inspiré du prénom de son épouse Monique.
Il confie alors à Christopher Lawrence, préparateur anglais reconnu pour ses compétences, on lui doit, entre autres, les Morgan SLR, le soin de piloter le projet et de fabriquer un chassis constitué de profilés carrés soudés entre eux. La carrosserie en alliage léger est réalisée par Williams&Pritchard. Niveau motorisation, et après avoir écarté les 4 et 6 cylindres des Triumph TR4 et TR5, le choix se porte sur un tout nouveau moteur développé par Ted Martin un ingénieur anglais. Le moteur V8 de 3,4L développe 240 chevaux DIN et est couplé à une boite à 5 vitesses ZF. Le premier prototype construit n’emballe pas Jean Tastevin. Les lignes sont lourdes et il manque grandement d’élégance.
Le 2ème prototype étant tout aussi décevant, l’industriel décide de faire appel à un jeune styliste, Tony Rascanu pour travailler le design de l’auto. L’objectif est de créer une ligne inspirée des grands carrossiers italiens. Cette fois ci, le résultat est à la hauteur des espérances. La voiture fait preuve de caractère et le dessin mélange parfaitement sportivité, puissance et élégance. La fabrication de cette carrosserie est confiée à Vignale en Italie qui fabrique un 3ème prototype en acier.
Malheureusement, la fermeture de Vignale oblige Jean Tastevin à renvoyer la forme ayant servi à la fabrication du dernier prototype en Angleterre chez Airflow Streamlines pour la réalisation d’un 4ème prototype. Nouvelle déception, la réalisation finale est décevante. Les trois exemplaires fabriqués sont détruits et après de sérieuses modifications, c’est de nouveau en Italie chez Abate que les carrosseries sont produites.
Maintenant, c’est vers le moteur que tous les yeux se tournent. Les performances du V8 Martin ne sont pas à la hauteur. La puissance tout comme le couple sont insuffisants. De plus, le niveau sonore est inaproprié pour ce qui doit être une luxueuse GT.
Au grand regret de l’industriel il doit abandonner le V8 compact et se tourner, comme c’est souvent le cas pour un constructeur de petite taille vers un fournisseur de moteur. Son choix se porte alors sur un bon V8 Chrysler de 5,6L développant 285chevaux DIN. On peut l’accoupler à une boite de vitesse automatique Torqueflite à trois vitesses ou a une boite manuelle ZF à 5 vitesses. La boite automatique emportera la grosse majorité des suffrages.
Après une première présentation au salon de Paris en 1972 sous l’appellation de Monica 350, cylindrée du V8 Martin d’origine, elle fait sa grande apparition au salon de Genève 1973 puis au salon de Paris de la même année sous la dénomination de Monica 560 en référence à son moteur.
La commercialisation prévue le début de l’année suivante subit un nouveau contretemps. Il est très difficile de loger le gros V8 américain dans le compartiment moteur prévu au départ pour accueuillir le compact V8 Martin. De plus, son encombrement soulève des problèmes de refroidissement obligeant le constructeur à ajouter deux ventilateurs dans les ailes avant pour
permettre au moteur de refroidir un peu plus vite. Ce n’est finalement qu’au salon de Paris 1974 que la Monica 560 est prête à être commercialisée.
La voiture séduit par un intérieur particulièrement soigné et luxueux avec des sièges en cuir Connolly et un tableau de bord en loupe d’orme. De plus, les essais routiers faits au Castellet sont concluants avec notamment une excellente note pour sa tenue de route.
Mais la Monica joue de malchance. Le choc pétrolier est passé par là. Son prix très élevè de 164000 francs pose également problème puisque équivalent à celui d’une Rolls.
Le cumul de ces deux lourds handicaps vont avoir raison de l’obstination de Jean Tastevin. Celui-ci annonce, début 1975, l’arrêt de l’aventure Monica.
Les équipements sont donnés à Guy Ligier qui garde aussi du côté de son usine de Vichy un stock important de carrosseries qui disparaîtront au bout d’un an de stockage sans doute ferraillées.
Lucide, Jean Tastevin aura préfèré jeter l’éponge quand il en est encore temps et ne pas risquer la mise en liquidaion de la totalité de ses activités.
Le manque de connaissance du monde de l’automobile de la part de l’industriel lui-même tout comme de son équipe plus habituée à travailler sur des projets artisanaux, les multiples intervenants issus de plusieurs pays (moteur américain, carrosserie faite en Italie, montage à Balbigny en France où est réalisé le chassis) ajouté au choc pétrolier de 1973 en sont les principales raisons.
Sans doute peut-on y ajouter la volonté d’être présent sur un marché de niche impliquant à très court terme une présence aux Etats Unis tout comme dans la péninsule arabique et ce en partant d’une page blanche ce qui n’a pas non plus favorisé les ventes d’une telle auto.
Jean Tastevin a eu le mérite d’entreprendre là où beaucoup aurait renoncé compte tenu des difficultés à venir. Il aura été jusqu’au bout de son rêve en sachant s’arrêter avant qu’il ne vire au cauchemar.
On évalue à 17 exemplaires le nombre de Monica produites. Il est à noter, comble de l’ironie, qu’aucune Monica ne pût être vendue en France avec une carte grise. Les tests en vue de la réception aux mines n’étant pas terminés au moment de l’arrêt de la production.
C’est le marché anglais via Lawrence qui en absorba un grand nombre, le reste de la production se répartissant entre différents pays avant, pour certaines, de revenir en France berceau de celle qui est aujourd’hui un collector recherché.
Photos : Archives salon de Paris et Genève, Monica archives, Artcurial, MC