Rares sont les hôtels étroitement liés au nom d’un circuit ou d’une course. L’Hôtel de France situé à la Chartre-sur-le-Loir en est l’exception qui confirme la règle. Découvert par John Wyer alors team manager d’Aston Martin, il est devenu incontournable pour tous les amateurs de la course mancelle qui souhaitent un jour assister à l’épreuve. Un petit rappel de son histoire s’impose.
Avant d’être le repaire de pilotes participant aux 24 Heures du Mans, l’Hôtel de France est resté pendant de longues années un hôtel de province comme il en existe des milliers en France. Inauguré au début du siècle dernier par Alexandre et Marie Pasteau, c’est la génération suivante qui a pris la relève et qui l’exploite au début des années 50.
C’est alors que John Wyer, team manager de l’écurie Aston Martin le découvre et décide, à compter de 1953, d’en faire le camp de base de la marque de Newport Pagnell à l’occasion de l’épreuve mancelle.
John Wyer
Jusqu’en 1959, année de sa victoire au Mans, l’équipe anglaise sera fidèle à l’Hôtel de France. Afin de créer un esprit d’équipe et d’en améliorer sa cohésion, l’hôtel est réservé durant la semaine mancelle. Pilotes, mécaniciens, team manager et autres y vivent, et peuvent y travailler sur leurs voitures. Situé non loin du circuit, l’hôtel est confortable, la nourriture excellente et le tout, pour un prix modique ce qui convient parfaitement à Wyer réputé pour son « pragmatisme ».
Ce sont les DB3S qui inaugureront l’histoire entre Aston et l’Hôtel de France. La victoire de la DBR1 de l’équipage Shelby/Salvadori en 1959 viendra récompenser la persévèrance des anglais.
Aston Martin DB3S Le Mans 1953
Carroll Shelby en 1954. La victoire est encore loin. Abandon à la 9e heure.
1956, abandon dans la dernière heure de la DBR1 2,5 l n°14, mais l’honneur est sauf avec la 2e place de la DB3S de Collins/Moss.
1959 année du sacre. Les DBR1 sont prêtes à partir en direction du circuit. Par la route, bien sûr, comme c’était la coutume. Ces 50 petits kilomètres, à parcourir étaient une bonne opportunité pour vérifier que tout fonctionnait avant de se lancer dans le défi des 24Hrs.
La 5, ferme la marche, mais c’est elle qui terminera devant à la fin de la course.
1959 sera aussi l‘occasion de voir les DB4 GT passer par l’Hôtel de France.
Aston Martin continue à en faire son QG au début des années 60. La participation officielle de la marque de Newport Pagnell se fait avec les DP212, 214, 215.
Les séjours à l’Hôtel de France seront l’occasion pour les pilotes Aston de passer quelques joyeux moments et de se détendre avant les 24hrs fatidiques comme le font sur la photo ci-dessous Stuart Lewis-Evans, Maurice Trintignant, Stirling Moss, Roy Salvadori, Carroll Shelby et Jack Brabham en 1957.
En 1963, Wyer quitte Aston Martin. Engagé par Ford, il est chargé avec Eric Broadley de développer une voiture capable de battre Ferrari sur la piste mancelle. Il reste fidèle à l’Hôtel de France. Les Ford GT40 remplacent les DBR1.
Devant le manque de résultats, Ford confie le développement de ses voitures à Caroll Shelby. Wyer en profite pour racheter les bâtiments Ford à Slough dans le but de construire sa propre voiture baptisée Mirage.
Après de bons résultats dans quelques courses, mais aussi un abandon aux 24hrs du Mans 1967, Wyer engage des GT40 pour les éditions 68/69 avec Gulf comme sponsor. Il garde ses bonnes habitudes et retrouve l’Hôtel de France et le garage Renault situé à proximité pour travailler sur ses voitures.
Le lieu lui porte doublement chance, puisqu’il peut y célébrer la victoire de l’équipage Rodriguez/Bianchi en 1968 et l’année suivante, la fameuse victoire au finish du duo Ickx/Oliver.
Ford GT40 Rodriguez/Bianchi Vainqueurs Le Mans 1968
Ford GT40 Ickx/Attwood Vainqueurs Le Mans 1969
Tout en continuant à travailler sur le développement de ses Mirage, Wyer engage en 70 et 71 des Porsche 917 toujours avec l’appui de Gulf. La fameuse livrée orange et bleue du sponsor sera particulièrement mise en avant dans le film de Steve McQueen « Le Mans ».
Ce seront donc des 917 que les habitants de La Chartre pourront venir admirer devant l’Hôtel de France.
Les résultats seront moins bons pour le John Wyer Automotive Engineering Ltd puisque seule une deuxième place en 1971 de l’équipage Müller/Attwood viendra clôturer la période 917.
Porsche 917K Redman/Siffert Le Mans 1970 Abandon 12e heure.
Porsche 917LH Siffert/Bell Le Mans 1971 Abandon 8e heure.
Ça sera la dernière fois que l’on verra des « protos » partir de La Chartre sur le Loir par la route pour rejoindre le circuit du Mans.
Les 917 ne répondant plus à la nouvelle règlementation, on va retrouver des Mirage devant l’Hôtel de France avec comme point d’orgue pour Wyer la victoire d’une de ses voitures en 1975 avec Ickx/Bell au volant. Cette ultime victoire pour Wyer sera aussi synonyme de clap de fin entre le manager anglais et l’hôtel de France.
Gulf Mirage GR8 N°11 Ickx/Bell Vainqueurs Le Mans 1975
D’autres équipes profiteront aussi de l’hospitalité du lieu. L’équipe Triumph y restera quelques années.
Tout comme TVR en 62.
Toujours exploité par la famille Pasteau, l’Hôtel de France est mis en vente, il y a une dizaine d’années. Martin Overington, entrepreneur anglais habitant le sud de l’Angleterre, mais surtout grand amateur de voitures anciennes et de compétition (il en possède plusieurs) et client habituel de l’Hôtel lors de ses passages aux 24 Heures du Mans ou au Mans Classic, décide d’étudier son rachat qui intervient fin 2013.
Si des travaux ont été accomplis afin d’améliorer le confort et moderniser le lieu, l’esprit des 24 Hrs a su être préservé. Dès l’instant où on franchit la porte d’entrée de l’établissement, une bouffée de nostalgie vous envahit. Il faut dire que le décor est assez évocateur. La décoration du bar lève toute ambiguïté sur le lieu et vous rappelle à travers de nombreuses photos le lien liant l’établissement à la course mancelle.
Même le véhicule de service se fond dans le décor.
Et si vous avez un peu de chance, vous pourrez croiser Jacky Ickx ou Derek Bell qui sont des habitués de l’établissement ou d’autres pilotes amateurs des lieux.
Vous pourrez peut-être aussi voir Martin Overington, le propriétaire des lieux, partir en direction du circuit des 24Hrs au volant de sa Bentley Blower tractant sa Porsche 962.
Et si vous allez à Goodwood, vous le retrouverez, toujours au volant de sa Blower disputer le Brooklands Trophy. Un vrai passionné.
Si jamais vous passez dans le coin, n’hésitez pas à vous y arrêter et à vous replonger dans l’histoire des 24 Heures du Mans. Ce petit retour dans le passé vous fera du bien.
Crédit photos : Archives famille Pasteau, Motorsport, Archives Aston Martin, Pinterest, D Colombeau, MC