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Lister : Quand le coup de foudre devient éclair de génie - Partie 2

Les premières Lister

Nous sommes en 1954. Le sport automobile anglais se souviendra à jamais de ce cru là comme l’année de naissance d’une machine extraordinaire : La Jaguar Type D. Celle qui décimera la quasi-totalité de ses adversaires pendant près de 3 ans occupera les premières pages, et le haut de toutes les feuilles de temps possible. Pourtant, en cette année 1954, celle qui verra le petit club de Wolverhampton et ses “Wolves” remporter le titre de première division de football pour la première fois de son histoire, une autre première va s’opérer, bien loin des projecteurs. 1954 fut en effet l’année de production de la toute première Lister, la toute première apposition de ce qui sera le célèbre “BHL” sur un châssis manufacturé “George Lister & Sons Ltd”. L’histoire est en marche pour le petit constructeur qui - paradoxalement - prendra le relai de la Type D et rendra au 6 cylindres XK ses lettres de noblesse.

C’est à la fin de l’année 1953 que Brian Lister sentit le coup, celui de l’opportunité qui s’offrait à lui. La Tojeiro - JAP complètement dépassée, Brian avait pourtant compris ce qu’il avait entre les mains : un pilote décidément talentueux, à fort potentiel, une entreprise familiale au savoir-faire indéniable et des idées, de belles idées. Pourquoi attendre ? Brian s’empressa de toquer à la porte du paternel dans le but de le convaincre et d’être financé. C’est avec succès qu’il reçut l’aval de l’entreprise familiale pour un budget de 1500 £. Evidemment, ce budget fut accordé à condition d’obtenir des résultats dans les 6 mois. Un joli défi donc, mais pas de quoi effrayer notre futur constructeur. Afin de gérer le département “compétition”, une nouvelle entreprise est créée, sous le nom Brian Lister (Light Engineering) Cambridge Ltd, dépourvue d’actifs réels. Cette dernière n’allait servir qu’à l'engagement des autos, et ainsi “couvrir” l'entreprise principale - George Lister - en cas de plainte, sans vraiment savoir si cela fonctionnerait en pratique. Concernant la construction des autos, celle-ci allait être assurée par l'entreprise familiale, dans le bâtiment de l’entrée principale des locaux, agencée spécialement pour la réalisation du châssis et des trains roulants. 

 

 

Le premier châssis : l’ingéniosité n’a pas de prix 

Pour sa toute première création, Brian Lister opta pour une conception simple mais solide, plus efficace. Ce châssis se composait de deux tubes principaux, reliés par trois traverses de même facture, à savoir des tubes de 3 pouces de diamètre et de calibre 16 en acier T35. Brian eut pour souhait d’utiliser des tubes elliptiques, bien plus résistant certes, mais bien trop cher, ainsi il resta sur la conception originelle. Si tout cela n’avait rien d’innovant, une particularité du châssis allait faire toute son originalité. Les deux tubes principaux formant la structure furent pliés, formant une sorte de losange et permettant ainsi au pilote de se glisser entre les tubes et non sur le châssis. Ce détail, rarissime à l’époque, allait ainsi permettre au pilote d’être positionné plus bas, abaissant le centre de gravité de l’auto. Ainsi, la ligne de carrosserie pouvait elle aussi être abaissée, diminuant la résistance au vent. Cette particularité deviendra la signature des Lister qui suivront, une véritable marque de fabrique au même titre que la qualité de construction des châssis. L’expérience de l’entreprise familiale dans la manipulation de l’acier accumulée donna naissance à de véritables pièces d'orfèvrerie, bâtissant la solide réputation du constructeur. La précision avec laquelle Lister concevait les châssis leur permettait de mettre au point des châssis d’une qualité exceptionnelle - avec comme points forts les assemblages usinés et la soudure électrique. Ce savoir-faire familial allait devenir le véritable domaine de prédilection de Lister et leur principale force. 

 

 

 

 

Pour les suspensions, Brian Lister puisa son inspiration sur des références du genre à savoir les Flèches d’Argent W125 et W154. Le train-roulant avant se compose de triangles “faits-maison", pivotant sur des montants soudés au cadre dont les pièces provenaient de MG TD. Suivant ainsi les pas des Flèches d’Argent, la Lister se voit équiper d’un pont arrière DeDion. L’idée principale émanant de cette conception était simple : obtenir une auto rigide grâce au châssis, mais relativement souple de par ses suspensions. Ainsi, la Lister pouvait jouir d’une excellente traction, et d’un comportement simple à prendre en main. En réalité, l’auto avait été conçue spécialement pour le style de conduite particulier d’Archie Scott-Brown. Concernant la direction, celle-ci était assurée par une crémaillère de Morris Minor - légèrement modifiée - et montée à l’envers. Rudimentaire mais efficace, au même titre que les freins à tambour Girling - rappelons que les disques n’étaient alors pas encore “monnaie courante”, bien que Jaguar en avait démontré les qualités. Enfin, la carrosserie, imaginée et dessinée par Brian lui-même, épousait parfaitement la structure du châssis et les trains roulants, dans un style très propre aux voitures de sport de cette époque - comme les Cooper Bristol T20 et autres HWM Jaguar. Reprenant les systèmes déjà rodés par Jaguar et Aston Martin sur leurs Type C et DB2, le capot et les deux ailes avant s'articulent vers l’avant, en un seul et même bloc. Les autres panneaux de la carrosserie étaient quant à eux délicatement apposés sur une fine et aérée structure tubulaire, et pouvaient être détachés en un instant, une fois les attaches dites “Dzus” libérées. L’auto fut équipée de roues en aluminium de 16 pouces, fabriquées par Byfleet dans le Surrey.

 

 

 

Ce châssis, le tout premier construit, allait servir de base à toutes - exceptée une - les autos qui sortiront des ateliers de Cambridge. Il reçut le numéro BHL 1, initiant ainsi le début d’une numérotation légendaire, inséparable de l’histoire de Lister. La première Lister reçut l'immatriculation MER 303, et se vit équipée du quatre cylindres en ligne XPAG d’MG TD. Ce petit moteur d’1.2 litres - 1,250 cc - était peu puissant mais peu coûteux. Brian fit ce choix simplement à titre d’expérience, afin de voir si ses choix de conception s’avéraient payant. Bien qu’il était conscient du manque de puissance, il se concentra sur le châssis et de toutes les manières, ses 1.500 £ de budget aurait été englouti par le seul achat d’un Bristol, certes plus puissant, mais trop onéreux. Afin d’en tirer le maximum, il confia le bloc à  son ami préparateur Don Moore spécialisé dans la préparation de moteur XPAG. Ce dernier, dans son atelier de Cambridge, utilisa un bloc de 1,466cc issu des Morris Ten Series M, en changea la culasse et installa son propre système d’échappement. C’est dans cette configuration que la première Lister- Lister-MG - prit part à ses premières compétitions.

 

 

Première auto, premier résultats, premiers problèmes et premier constat

La Lister-MG “MER 303” fit ses premiers tours en courses le 3 Avril 1954, à l’occasion du Eastern Counties Car Club meeting sur la piste de Snetterton. Avec Archie Scott Brown au volant, les résultats ne se firent pas attendre. La Lister remporta sa première course, haut la main, enchaînant avec un deuxième succès lors de la seconde course du week-end. Evidemment, bien que le résultat fut plus que satisfaisant, il s’agissait ni plus ni moins que d’un petit événement mineur, où la concurrence n’était pas la plus rugueuse du pays. Il fallait pour Brian, un défi de plus grande envergure pour démontrer le potentiel de son auto et par la même occasion le talent de son ami et pilote maison Archie. C’est empli de confiance que nos  hommes s’engagèrent dans le très huppé British Empire Trophy, une semaine plus tard, à Oulton Park. Le niveau n’allait clairement pas être le même. Sur la liste des engagés figurent des noms qui firent l’histoire du sport automobile britannique : John Coombs, Stirling Moss, Jimmy Stewart, Colin Chapman, Duncan Hamilton, Ron Flockhart ou George Abecassis. 

 

Archie Scott-Brown au volant de BHL 1 à Crystal Palace en 1954 lors du Anerley Trophy

 

Bien conscient du manque de puissance évident du moteur MG, il en fallait davantage pour décourager Archie d’aller chercher un résultat dans cette compétition de premier rang. Car si Archie était talentueux, il avait ainsi attiré malgré lui les regards. Suscitant jalousie, convoitise ou peur chez les concurrents - on ne saura jamais, un certain Sid Greene remarqua la malformation dont souffrait notre brillant Archie. Sid Greene était l’homme providentiel de Gilby Engineering Co Ltd, une écurie à peu près similaire à Lister, bien qu’il faisait courir une Maserati A6GCS, confiée pour l’occasion à - tenez-vous bien - Monsieur Roy Salvadori. En fait, Sid Greene avait lui-même perdu un bras, et ainsi sa licence de pilote. Alors, quand il vu Archie au volant de la Lister, ce dernier s’empressa de le signaler aux commissaires. Après tout, pourquoi Archie devrait-il être le seul à obtenir les faveurs du RAC ? Sans même penser aux répercussions dramatiques que cela pouvait avoir sur la carrière d’Archie et indirectement de Brian, Sid porta donc réclamation. Dans les compétitions plus petites, ce problème ne s’était jamais manifesté, il suffisait de voir Archie piloter pour comprendre que le nombre de mains aptes n’était pas un problème. En revanche, dans une compétition aussi importante, l’histoire allait être différente. Inévitablement, Archie vit sa licence lui être retirée et la course, compromise pour la Lister. Brian dut se retrousser les manches pour dégoter quelqu’un capable de tenir la Lister-MG. C’est en la personne de Ken Wharton que le problème fut - partiellement - réglé, au moins pour le British Empire Trophy. Ce “one-off” partenariat ne mena finalement à rien : le moteur MG rendit l’âme et la Lister ne termina même pas la course, L’affaire allait s’avérer compliquée. Sans pilote, Brian devait trouver quelqu'un rapidement, qui plus est quelqu’un capable de piloter efficacement la Lister conçue sur mesure pour Scott-Brown. 

 

 

Brian avait en tête deux hommes, et non des moindres. D’un côté, Johnny Lockett et de l’autre Don Beauman. Le premier avait été l’un des hommes forts de l’équipe Norton d’avant-guerre, brillant pilote sur deux roues qui tenta de passer sur quatre. L’histoire fut sans suite, et pour l'anecdote, ce dernier inscrira son nom dans l’histoire en battant avec Ken Miles, un record à Bonneville au volant de l’MG “EX 179” en 1956. L’autre pilote, Beauman, était un pilote talentueux, protégé d’un certain Mike Hawthorn. À ce moment-là, Beauman était déjà réputé, certainement trop pour que Brian puisse espérer quoique ce soit. Pendant ce temps-là, le pauvre Archie, dépourvu de licence, devait prendre son mal en patience. Un heureux hasard fera toutefois tourner le vent dans le bon sens. Earl Howe, président du BRDC (British Racing Drivers Club)  et légende vivante du sport auto ayant notamment fait ses classes chez Bentley au début des années 30 puis avec Alfa Romeo signant - entre autres - une victoire aux 24 Heures du Mans 1931, fut spectateur de l’une des prestations d’Archie. Etonné par le style de pilote et le talent de l’homme en question, il fit quelques recherches avant de tomber sur cette histoire de licence retirée. C’est sans aucun doute l’intérêt d’Earl Howe, avec l’aide du Dr. Benjafield et Gregor Grant (éditeur du très fameux Autosport) qui permettra à Archie de retrouver une licence en Juin cette même-année. Beauman prit une seule fois le volant de la Lister, à Silvertone en Mai, accrochant une honorable quatrième place. C’est un jeune pilote encore inconnu qui fut finalement engagé pour pallier l’absence d’Archie Scott-Brown, démarché sur les sages conseils de ce dernier : Jack Sears. Sears n’avait encore aucune réputation, et c’est certainement dans la Lister que l’histoire débuta pour lui. Il participa à trois courses : une à Brands-Hatch et deux sur le tracé de Snetterton. S’il termina second à Brands-Hatch et second de la première course (à handicap) à Snetterton, il remporta la seconde. 

 

 

Au vu des résultats, Brian ne pouvait qu’être fier de sa première oeuvre. Le pari s’avéra gagnant à tout point de vue, et les problèmes furent réglés dès le mois de Juin. Archie, de retour dans BLH 1, arracha de beaux résultats. Pour autant, le moment était venu pour Brian d’aller grappiller des chevaux. Le seul sabre de Cambridge était désormais prêt à être aiguisé. La phase d’expérimentation terminée, un moteur digne de ce nom allait pouvoir donner plus de caractère à la petite Lister. Alors que la construction de BHL 2 fut lancée, au milieu de l’année 1954, BHL 1 continua de faire ce pourquoi elle était conçue : bien figurer. Mais bientôt, Lister allait pouvoir réclamer davantage… 

Article écrit par Antoine Jimenez

Crédits photos :  Lister-Jaguar, Brian Lister and the cars from Cambridge - Paul Skilleter / Cambridge Car Club 

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