On a parfois tendance à oublier, quand on parle des français en F1, que le premier qui réussit à remporter une victoire dans la discipline reine, fut Maurice Trintignant en 1955. C’est lui qui fut le premier français à inscrire son nom au palmarès d’un Grand Prix, le premier à faire résonner la Marseillaise dans une compétition dominée par les anglais, italiens ou argentins. Une bonne occasion de se rappeler le parcours d’un grand champion.
Maurice Trintignant est né le 30 octobre 1917 à Sainte Cécile les Vignes petite commune du Vaucluse où son père exploite un vignoble. Ses frères s’intéressent à l’automobile, en particulier l’aîné, Louis, qui possède plusieurs Bugatti et participe le week-end à quelques épreuves régionales. Maurice est très tôt captivé par ce frère à qui, alors âgé de huit ou neuf ans, il emprunte sa 35 GP de Lyon pour faire le tour du village. C’est un premier coup du sort qui frappe alors le jeune pilote en herbe avec le décès de Louis sur sa Bugatti 51 lors des essais du GP de Picardie à Péronne le 20 mai 1933. Affecté par cette disparition mais nullement découragé, c’est avec l’aide de sa famille et de l’ancien mécanicien de son frère qu’il peut, cinq ans plus tard s’aligner au Grand Prix de Pau sur la Bugatti 35C/51. Le moteur de la 51 a été refait, quelques jours avant le Grand Prix, par l’usine Bugatti avant d’être monté dans le châssis de la 35 comme son frère l’avait déjà fait précédemment, trouvant la conduite de la 35 plus souple que celle de la 51. C’est une magnifique 5ème place qu’obtient Trintignant junior derrière Dreyfus le vainqueur et Caracciola son dauphin mais devant des pointures comme Nuvolari, Villoresi ou Farina.
Ses bons débuts sont confirmés rapidement puisqu’il gagne le Grand Prix des Frontières à Chimay en Belgique, GP qu’il gagnera encore l’année suivante, terminant cette même année 11ème du Grand Prix de Comminges sur une Bugatti 57C. Malheureusement, la guerre éclate et c’est contraint et forcé que Maurice doit interrompre sa carrière naissante et remiser sa 35/51 à l’abri dans une grange familiale.
A peine la guerre finie, la compétition automobile reprend. En septembre 1945, Trintignant s’inscrit à la Coupe des Prisonniers qui se déroule au bois de Boulogne. Toujours sur sa Bugatti 35/51, il doit abandonner rapidement. Intrigué, JP Wimille, vainqueur de la course et ami de Maurice, lui demande les raisons de son abandon. Ce dernier lui explique que des « pétoules », petites crottes de rats en provençal, se sont mises dans le réservoir et ont fini par boucher le carburateur. A partir de ce jour là, le sobriquet de « Pétoulet » donné à Trintignant par Wimille accompagnera le natif du Vaucluse sur tous les circuits du monde.
C’est suite à sa victoire sur une Amilcar au GP d’Avignon que Maurice est contacté par Amédée Gordini pour prendre le volant d’une de ses voitures au Grand Prix de Reims en Formule 2. Il termine troisième et devient pilote attitré de l’équipe Gordini.
Ce sera alors 7 années faites de hauts et de bas, la fiabilité des voitures du « sorcier » n’étant pas leur point fort. Entre deux abandons, il gagnera quelques courses comme le Rheinland-Pfalz Preis au Nürburgring, à Nîmes, Agen ou Albi, mais chaque fois face à une opposition limitée. Dans chacune des grandes épreuves auxquelles il participe, Trintignant doit abandonner, comme aux 12hrs de Paris ou aux 24hrs de Spa. Son meilleur résultat dans une épreuve de haut niveau, il l’obtient aux 24hrs du Mans 1953, associé à Schell quand il termine 6ème sur une Gordini T16S.
C’est aussi durant cette période, que Pétoulet subit l’accident le plus grave de toute sa carrière au GP de Berne 1948. Aligné sur une Gordini T15S, il est éjecté de sa voiture après une sortie de piste. Gravement touché, avec la rate éclatée, plusieurs côtes cassées, quatre dents en moins et de graves blessures à la tête, il reste neuf jours dans le coma. Durant son opération de la rate, son coeur s’arrête même de battre pendant plus d’une minute avant, miraculeusement, de repartir. Même s’il pourra reprendre le volant après quelques mois de convalescence, il en gardera des séquelles, notamment un crâne fragile l’obligeant à porter un bonnet pour éviter les nuisances du soleil.
Las des résultats obtenus sur Gordini, Trintignant accepte la proposition d’Enzo Ferrari de rejoindre la Scuderia. Bien lui en a pris puisqu’il y obtiendra ses meilleurs résultats. Que ce soit en Formule 1 ou en Sport Prototypes, les voitures sont performantes et, même s’il s’aperçoit très vite que la rivalité entre pilotes au sein de l’équipe italienne est sévère, il sait qu’il conduit des voitures capables de le faire gagner.
D’ailleurs les résultats ne tardent pas à tomber puisqu’il termine 2ème des 2 hrs de Dakar sur une 500 Mondial et surtout, il gagne les 24hrs du Mans 1954 associé à Jose-Froilan Gonzalez sur une Ferrari 375 Plus. Cette même année, associé à Mike Hawthorn, il gagne également le Tourist Trophy sur une 750 Monza.
En Formule 1, les performances sont aussi encourageantes puisqu’il termine 4ème en Argentine, 2ème en Belgique, 3ème en Allemagne ce qui, ajouté aux deux 5ème places acquises en Angleterre et Italie, lui permet de terminer le championnat des pilotes à une très belle 4ème
place.
1955 débute plus difficilement en Sport Prototypes. Trintignant doit attendre les 10hrs de Messine pour gagner. Mais cette victoire vient après celle obtenue dans la discipline reine, le championnat du monde de Formule 1 puisque deux mois plus tôt, il a gagné le GP de Monaco au volant de sa Ferrari 625 devançant Castellotti sur Lancia D50. Ce GP sera marqué par la plongée d’Ascari, alors en tête de la course, dans le port monégasque, l’italien ayant eut du mal à supporter la pression mise sur lui par la Ferrari du français. Mais surtout ce que l’on retiendra, c’est que cette victoire est la première d’un pilote tricolore lors d’une épreuve du championnat du monde de Formule 1.
Le reste de sa saison ne sera pas facile, et même s’il termine encore 4ème au classement final, il ne marquera pas de points dans les cinq GP restants.
En 56 et 57, Trintignant continue son expérience chez Ferrari mais essentiellement en Sport Prototypes. En 56, il gagne le GP d’Agadir et les 2hrs de Dakar sur une 857 S avant de l’emporter en Suède sur une 290MM. Entre temps, même s’il ne renouvelle pas sa victoire de 1954, il termine 3ème des 24hrs du Mans sur une 625LM en compagnie d’Olivier Gendebien.
1957 sera un ton en dessous, même si les places d’honneur sont là avec notamment une deuxième place au Tour Auto sur une Ferrari 250GT après une belle lutte avec Gendebien le vainqueur.
Après avoir essayé au GP de l’ACF à Reims de relancer Bugatti en travaillant à la mise au point de la nouvelle 251 aussi peu performante que laide (principalement à cause d’un manque de finances), Trintignant, après un passage éclair chez Vanwall, signe pour l’année 58 avec l’écurie privée de Rob Walker. Alignant des Cooper Climax agiles et performantes, l’équipe anglaise fait courir Moss ou Brooks pour accompagner le français en fonction des engagements des deux anglais avec Vanwall. Ce sera un début de saison tonitruant pour la petite équipe puisqu’après la victoire de Moss en Argentine, Pétoulet l’emporte à Monaco, signant ainsi sa deuxième victoire en F1 et la deuxième en terre monégasque au terme d’une fin de course « tendue ». En effet, il devait normalement s’arrêter deux fois afin de remettre de l’essence mais, malgré les instructions venues du stand, il ne s’arrête qu’une fois ce qui lui permet de rester en tête et gagner. A la fin de la course, Rob Walker se précipitera sur la voiture pour faire vider le réservoir. Il ne restait que 4 litres
La fin de la saison sera plus compliquée, le manque de fiabilité des Cooper, particulièrement de la boite Colotti ne permettant au français de terminer dans les points qu’au GP d’Allemagne où il finit troisième. 1959 verra Trintignant terminer, toujours sur Cooper-Climax, 5ème du championnat avec 19 points au compteur, une deuxième place derrière Bruce McLaren et devant la Ferrari de Tony Brooks venant clôturer la saison lors du GP des USA à Sebring.
Les quatre saisons suivantes sont décevantes et se terminent sans point. Il faudra attendre 1964 pour voir le français, sur une BRM V8 engagée à titre privé, terminer 5ème du GP d’Allemagne et marquer ses deux derniers points au championnat du monde des pilotes. Un mois plus tard, il met un terme à sa carrière en F1 à l’issue du Grand Prix d’Italie à Monza où il doit abandonner sur un problème d’allumage. A 47 ans, il devient difficile de tenir le rythme tout un Grand Prix de même qu’il est de plus en plus difficile pour un privé de trouver les moyens financiers pour bien figurer face aux écuries officielles.
En parallèle de sa carrière en F1, Trintignant continue à courir en Sport Prototypes et en Tourisme. Après une première apparition peu concluante aux 24hrs du Mans 1958 sur Aston Martin, puisqu’il doit abandonner, il remet ça en 1959 où, sur une DBR1, associé à Paul Frère, il termine deuxième derrière l’équipage vainqueur Salvadori/Shelby assurant ainsi un beau doublé au team de David Brown.
Quand il évoquera cette deuxième place, il manifestera longtemps des regrets, persuadé que sans les directives données par l’usine, il aurait pu gagner, remontant de façon telle qu’il était prêt à doubler Salvadori quand on lui donna la consigne de ne pas le faire et de ralentir la cadence. Le même duo Trintignant/Frère terminera la saison par une belle 4ème place au Tourist Trophy, toujours sur Aston Martin DBR1.
En GT, au Tour Auto 1958, on retrouve les mêmes protagonistes que l’année précédente pour le même résultat. Maurice termine à nouveau deuxième sur sa 250GT derrière Gendebien. Il doit par contre abandonner en 1959 alors qu’il s’essayait sur une Porsche 356A Carrera.
Après une année 1960 décevante au volant d’une Porsche 718, Trintignant termine 4ème de la Targa Florio 61 avec Vacarella comme partenaire sur une Maserati Tipo 63.
Après un abandon aux 24hrs du Mans, il finit la saison en fanfare avec une 2ème place au Trophée d’Auvergne et aux 1000km de Paris et finit troisième du Tour Auto sur Ferrari 250GT SWB.
Ce sera là les derniers grands résultats du pilote provençal. On le retrouvera au volant d’une Maserati Tipo 151 au 24hrs du Mans 62 et 64 mais sans succès.
C’est au volant d’une Cobra Coupe Daytona qu’il participera au Tour Auto 1964 mais il devra abandonner.
Tout comme aux 24hrs du Mans 1965 où, coéquipier de Guy Ligier sur Ford GT40 Roadster, il abandonne sur problème de boite de vitesses. Il fera sa dernière course en 1965 à la course de côte du Mont d’Or sur une Bizzarrini coupé.
Elu maire de Vergèze en 1959, Maurice Trintignant se consacrera alors à sa commune et à ses administrés tout comme à sa propriété viticole. Il commercialisera d’ailleurs une cuvée issue de son vignoble au nom évocateur puisque nommée Pétoulet.
Il ne s’éloignera pas pour autant totalement du monde automobile puisqu’on le verra régulièrement faire acte de présence au départ des plus grandes manifestations. Il participera aussi à la naissance d’un des plus vieux clubs consacrés à la voiture ancienne, les Trapadelles basés au musée d’Orgon où il sera nommé président d’honneur.
Quand on lui demandait qu’elle était son plus beau souvenir en compétition, ce ne sont pas ses premières places à Monaco ou aux 24 hrs du Mans qu’il mettait en avant, mais simplement le fait d’avoir été plus rapide que le grand Fangio sur une voiture identique à Bordeaux. Ce jour où il réussit à éclipser par la seule valeur de son pilotage le grand champion argentin. Le témoignage d’un homme simple et droit pour qui ses deux victoires en Grand Prix et ses multiples victoires en Sports Prototypes, avaient moins d’importance que le souvenir d’une lutte à armes égales avec, non pas un adversaire mais un ami dans le plus grand respect mutuel.
Maurice Trintignant s’éteindra le 13 février 2005 à Nimes à presque 88 ans, près de 50 ans après sa première victoire monégasque.
Maurice Trintignant en 1995 à l’occasion des trente ans des Trapadelles son club de coeur dont il était le président d’honneur.
Photos Trapadelles, MC, Midi Libre, Maseratitude, JC Higgins, Vintage Race Car.