La grande histoire de l’automobile est faite, bien souvent, de petites histoires liées aux relations humaines. Bizzarrini en est l’exemple type. Si Giotto Bizzarrini, homme au fort caractère, ne s’était pas fâché avec Ferrari puis avec Renzo Rivolta, le propriétaire d’Iso, jamais nous n’aurions sans doute vu la marque Bizzarrini apparaître et jamais l’Iso Grifo A3/C ne serait devenue Bizzarrini 5300GT.
La vie de Giotto Bizzarrini est tout sauf un long fleuve tranquille. Après être passé par la case Alfa Romeo, il intègre Ferrari en 1957. Il travaille alors sur différents projets dont celui de la 250 GTO. Il en réalise même un prototype avant de quitter précipitamment la Scuderia au moment de la fronde menée par le directeur commercial, Girolamo Gardini accompagné des principaux cadres de l’entreprise, Chiti et Tavoni les directeurs technique et sportif en tête.
Après la création de sa propre société Autostar et une brève collaboration avec ATS, il est contacté par Renzo Rivolta, spécialiste dans les réfrigérateurs mais aussi créateur de l’Isetta.
Celui-ci souhaite lancer, sous la marque Iso, des voitures dont la propulsion sera assurée par un bon gros V8 américain fiable et rassurant et non par un V12 italien beaucoup plus pointu, cher et fragile. C’est en s’inspirant de la Gordon-Keeble motorisée par le V8 de la Chevrolet Corvette que Giotto Bizzarrini va élaborer l’Iso Rivolta.
Persuadé que pour assurer la promotion de la marque le passage par la compétition est obligatoire, il convainc Renzo Rivolta d’étudier la production d’un coupé deux places. C’est ainsi que naît la Grifo A3L dont il espère en tirer une auto destinée à la compétition.
Tous les composants sont là pour y parvenir. Il ne s’agit maintenant que de dessiner une carrosserie plus aérodynamique mieux adaptée à la course.
C’est Giorgetto Giugiaro que va retravailler la première ébauche proposée par Bizzarrini lui-même et finaliser le design de ce coupé destiné à briller sur les circuits.
Ainsi nait la Grifo A3C qui est dévoilée au salon de Turin 1963. Elle est présentée non peinte, brut de brut. Le châssis, emprunté à la Grifo A3L, a été raccourci de 35cm. Le moteur reste celui de sa petit soeur, un bon gros V8 Chevrolet de 5359cc développant plus de 300cv. Le moteur est en position centrale avant et rentre dans l’habitacle. La carburation est assurée par 4 Weber quadruple corps.
Trois réservoirs d’essence positionnés sur les côtés et derrière le siège lui assurent une autonomie bien utile pour courir.
Une version Stradale est même proposée. Les Weber sont remplacés par un Holley quadruple corps. Quelques aménagements intérieurs augmentent son poids par rapport à la version Corsa.
La voiture est très bien accueillie et les premiers essais sont prometteurs grâce, entre autre, à une répartition des masses rendant la voiture très équilibrée.
Malheureusement, tout ne va pas se passer comme prévu pour le bouillant Giotto Bizzarrini. Voulant faire homologuer sa voiture en GT, il se heurte aux réticences de Rrnzo Rivolta qui se refuse d’envisager la création des cent exemplaires nécessaires pour l’homologation.
Et contrairement à Aston Martin qui s’appuie sur la DB4GT pour faire passer ses Project ou Ferrari qui utilise le même subterfuge pour ses 250GTO en s’appuyant sur sa 250GT, l’A3/C se voit contrainte de courir dans la catégorie prototypes. De plus, le soutien apporté par les dirigeants d’Iso au projet compétition cher à Giotto Bizzarrini est de plus en plus limité ce qui provoque la rupture entre ce dernier et Renzo Rivolta.
On a le temps de voir quand même quelques A3/C en compétition notamment à Sebring ou au Mans où elle gagne sa classe en 1964 et 1965.
Si Giotto Bizzarini quitte Iso, il ne part pas avec les mains vides. Il trouve un accord avec Renzo Rivolta qui le laisse poursuivre le développement et l’exploitation de la voiture avec, comme contrepartie, la possiblilté pour Iso de garder le nom Grifo sur ses voitures. De plus, l’usine s’engage à fournir les pièces nécessaires au montage de l’A3/C qui s’appelle désormais Bizzarrini 5300GT.
La voiture va peu évoluer les trois années qui suivent jusqu’à l’arrêt de sa production.
Giotto Bizzarrini qui s’est fâché avec son carrossier historique, Drogo, doit faire appel à BBM pour ses carrosseries aluminium. En outre, il fait également fabriquer quelques carrosseries en polyester à un fabricant de bateaux.
La transformation la plus importante vient du passage de l’essieu De Dion à une suspension arrière à roues indépendantes.
Au niveau de la commercialisation et suivant les pays et les dates de sorties des ateliers, les 5300 se retrouvent sous différentes appellations : Bizzarrini Grifo 5300GT, Bizzarrini 5300 GT Strada ou Bizzarrini GT America 5300.
Mais rapidement, la société fondée par Giotto Bizzarrini va mal. Des projets cruciaux pour sa survie tournent courts et ses nouveaux partenaires s’avèrent peu fréquentables ce qui provoque le dépôt de bilan de la société en 1969.
La production globale des Iso A3/C et 5300GT n’est pas facile à évaluer tant l’organisation des deux marques et le suivi de production à la sortie des chaînes est fantaisiste avec, notamment, des numérotations de châssis incohérents.
Néanmoins, on peut écrire qu’il y a environ 24 A3/C de produites dont 7 dans la version Corsa et environ 115 Bizzarrini 5300 GT toutes versions confondues.
Au niveau compétition, la 5300GT fera moins bien que l’Iso puisqu’elle devra abandonner au Mans tout comme à la Targa Florio en 1966.
Aujourd’hui, on les retrouve régulièrement sur tous les circuits d’Europe, beaucoup de versions Strada ayant été transformées en Corsa ou simili Corsa.
Johnny Haliday fut propriétaire d’une Iso Grifo A3/C. Il l’acheta en 1965 pour la revendre peu de temps après sans que l’on en connaisse les raisons.
L’Iso Grifo A3/C tout comme la Bizzarrini 5300GT restent des voitures rares et désirables. Elles auraient pu être la voiture à battre si l’homologation prévue en GT avait été obtenue au moment de sa sortie et si Renzo Rivolta avait pu ou voulu donner les moyens de la développer à Giotto Bizzarrini . Elle est passée sans doute à côté d’une carrière similaire à la Cobra Daytona et restera pour toujours un acte manqué.
Heureusement, sa présence dans bon nombre d’épreuves réservées aux GT des années 60 lui permet de redorer son blason et de ne plus seulement être la GT la plus rapide du marché au moment de sa sortie.
Giotto Bizzarrini.
Crédits Photos : Bizzarini archives, ClassicDriver, L Salgues, MC