Quand on pense aux engagements de Peugeot en compétition automobile, on se rappelle en priorité les nombreux succès de la 205T16, ses victoires au Paris-Dakar ou aux 24hrs du Mans. Mais c’est bien plus tôt que la marque au lion est venue se frotter à une concurrence internationale comme en témoignent ses trois victoires obtenues sur le « brickyard » d’Indianapolis il y a maintenant plus de 100 ans.
Au début du 20ème siècle, les plus grandes épreuves automobiles sont dominées, la plupart du temps, par des voitures à la cylindrée dépassant allégrement le seuil des 10 litres. Il apparaît aux constructeurs qu’ils ne vont pas pouvoir financer encore longtemps cette course en avant et qu’il est tenps de développer des machines de compétition proposant des moteurs plus petits, et moins chers. C’est alors que trois jeunes hommes, combinant la double casquette d’ingénieurs/pilotes proposent à Robert Peugeot, patron de la firme franc-comtoise, de construire une voiture dont la cylindrée restera modeste par rapport à l’existant, et surtout, qui sera totalement nouvelle avec pour espoir, de dominer la concurrence en France, Europe, et, pourquoi pas, aux Etats-Unis.
C’est ainsi que le trio Jules Goux, Georges Boillot et Paolo Zuccarelli se voit octroyer un budget spécifique, charge à eux de mettre en pratique leurs idées et de produire la voiture qu’ils imaginent.
Les ingénieurs maison, habitués à prendre en charge l’étude des nouveaux projets vont très mal accepter cette mise en concurrence et, par moquerie et dépit, vont vite attribuer le sobriquet de « charlatans » aux trois compères, mettant en doute, aussi bien leurs idées que leurs compétences.
Un quatrième larron va vite rejoindre le petit groupe . Suisse d’origine, l’ingénieur/dessinateur Ernest Henry va être un élément clé dans la réussite du projet.
C’est peu avant le GP de l’ACF 1912 que la jeune équipe présente les fruits de leur travail : la Peugeot L-76.
C’est une véritable révolution à laquelle on assiste. C’est un moteur monobloc 4 cylindres qui anime la voiture. Il y a 4 soupapes par cylindres et 2 arbres à cames en tête commandant une distribution desmodromique. La cylindrée est de 7,6l, modeste en comparaison de la concurrence, et la puissance tutoie les 150cv à un peu plus de 2000tr/mn avec une vitesse de pointe de l’ordre de 190km/h.
C’est la première fois au monde que l’on trouve en même temps 4 soupapes par cylindre et un double arbre à cames en tête. Les « charlatans » viennent de produire la première voiture de course de l’ère moderne.
Cette L-76 va donner naissance à toute une lignée, L57, L3, L45 et L25 qui vont faire briller la marque sochalienne sur bon nombre de circuits.
Les lauriers ne tardent d’ailleurs pas à tomber puisque dès sa première course, Georges Boillot remporte le GP de l’ACF à Dieppe. Ce n’est là qu’un début, la suite sera encore plus brillante.
En ce début de 20ème siècle, l’amérique est le continent de toutes les convoitises. Tout va plus vite que partout ailleurs. Les organisateurs du GP d’Indianapolis veulent faire de leur épreuve la plus prestigieuse course du monde. Organisée sur un ovale où la piste est faite de briques, l’épreuve se déroule sur 500 miles le jour de l’indépendance des Etats-Unis.
Contrairement à la plupart des courses européennes, c’est avant tout la vitesse des voitures qui prédomine. Le circuit composé de deux longues lignes droites et de deux virages relevés privilègie plus la vélocité des voitures que l’habilité des pilotes à négocier un parcours sinueux.
Comme c’est le cas à cette époque, la grille de départ est tirée au sort. Jule Goux ne s’en sort pas mal en partant de la 2ème ligne ce qui n’est pas la cas pour Paolo Zuccarelli qui lui, se retrouve en fond de grille.
Quand ce 30 mais 1913 les 27 voitures s’élancent, les pilotes savent qu’ils vont devoir batailler pendant plus de 6 heures avant de franchir la ligne d’arrivée. Les pneumatiques jouent un rôle décisif et il ne s’agit pas de partir bille en tête, mais plus d’adopter un rythme soutenu en étant attentif à tous les faits de course ce qui n’est pas facile quand celle-ci dure si longtemps. Alors que Zuccarelli doit abandonner rapidement sur un problème de roulement de roue, Jules Goux, après un départ prudent prend la tête de la course et termine en vainqueur un Grand Prix couru sous une chaleur étouffante. A ce sujet, la légende raconte qu’à chaque arrêt au stand, le pilote de la L-76 se rafraîchissait de quelques gorgées de champagne.
C’est la première victoire d’une voiture et d’un pilote européen à Indianapolis. L’américain Spencer Wishart sur Mercer termine 2ème à plus de 13 minutes.
Malheureusement, ce beau succès pour la marque au lion ne pourra être exploité autant que voulu, l’attention de la population étant entièrement dirigée vers le conflit qui risque d’éclater en Europe.
Indianapolis se déroulant en mai, Peugeot à juste le temps, avant la mobilisation générale d’août, d’envoyer ses pilotes participer à l’édition 1914 des 500 miles. Le résultat n’est pas mauvais, mais les sochaliennes doivent s’incliner devant la Delage de René Thomas, le franco-belge Duray termine 2ème et Goux 4ème. En 1915, c’est Dario Resta qui défend les couleur de la marque, les pilotes français se battant sur d’autres fronts. Il termine à une belle 2ème place, derrière la Mercedes de Ralph DePalma.
En 1916, Dario Resta fait mieux puisqu’il permet à Peugeot de décrocher un 2ème succès sur le « brickyard ». Au volant d’une L-45, il domine la Duesenberg de Wilbur d’Alene, Ralph Mulford sur une autre L-45 compléte le podium.
Certes, cette édition des 500 miles n’a pas été la plus palpitante que l’on connaisse, la liste des engagés pâtissant des restrictions imposées par la première guerre mondiale et la course se déroulant sur 120 tours au lieu des 200 habituels.
En 1917 et 1918, les 500 miles sont annulées, décision bien compréhensible compte tenu de ce qui se passe en Europe et de l’engagement des forces américaines dans le conflit.
1919 voit le retour de l’épreuve américaine au calendrier des compétitions internationales.
Peugeot est présent avec Jules Goux son pilote fétiche. Mais c’est une autre voiture de la marque au lion qui l’emporte, celle de Howdy Wilcox, sur sa 4,5L, en devançant la Stutz d’Eddie Hearne, Goux terminant 3ème.
Ce n’est pas la dernière fois que l’on verra une Peugeot courir la célèbre course américaine, mais cette victoire restera la dernière obtenue par la marque française. Il faut dire que la voiture commence à dater et que son développement est arrivé à son maximum.
Rançon de la gloire, le 4 cylindres développé par les « charlatans » va connaitre une seconde vie tout aussi glorieuse. En effet, fortement impressionné par le moteur français, Henri Miller et Fred Offenhauser vont concevoir des autos motorisées par un 4 cylindres copié sur la L3 Peugeot. Jusque dans les années soixante, ce n’est pas moins de 27 victoires que des voitures animées par ce moteur vont remporter sur l’ovale d’Indianapolis. Belle revanche pour les « charlatans » si décriés lors de la présentation de leur voiture en 1913.
Crédit photos. Archives Peugeot, Bonhams, Pinterest, MC,