Il existe quelques pilotes qui n’ont jamais pu remporter un titre de champion du monde de Formule 1 alors qu’ils avaient toutes les qualités pour le faire. Sir Stirling Moss en est sûrement l’exemple le plus connu, mais il ne fut pas le seul. Ronnie Peterson peut être aussi considéré comme l’exemple type du pilote qui avait tout pour décrocher le St Graal. Les circonstances et surtout une carrière trop vite interrompue en ont décidé autrement.
Né à Örebro petite ville de Suède, en 1944, Ronnie Peterson a vite été initié à la compétition poussé par un père fan de course sur circuit et pilote amateur à l’occasion. C’est d’abord sur un deux-roues qu’il commence à se mesurer aux pilotes locaux et remporte quelques épreuves. Fort de ses premiers succès, il envisage de se diriger vers le moto-cross. Mais son père ne le voit pas du même œil et lui construit un karting avec lequel il participe au championnat de Suède en catégorie 250cc. Avec son engin baptisé Robardie, il termine sa première saison à la 2e place avant de gagner le championnat en 1963.
Ce n’est alors que le début d’une longue ascension vers les sommets et la conquête du titre européen dominant toujours un peu plus ses concurrents.
Il est temps alors de passer à autre chose et de se risquer en Formule 3. Le budget n’est pas le même et son père décide de lui construire sa propre voiture en s’inspirant de la Brabham F3. La Svebe-Ford est née et c’est avec que le jeune Ronnie se lance dans le grand bain.
Force est de constater que la voiture a des performances bien en dessous de la concurrence et que malgré tout le talent de son pilote, il faut changer de monture s’il veut envisager des résultats à la hauteur de ses ambitions. C’est au volant d’une Brabham BT48 qu’il attaque la saison 67. Cette année d’apprentissage lui permet de perfectionner son pilotage, mais aussi, le convainc qu’il lui faut une voiture encore plus performante pour gagner. C’est chose faite en 1968, où il achète une Tecno-Novamotor aidé par l’importateur Tecno, BP Suède et son père toujours fidèle au poste.
Les résultats ne tardent pas et le suédois remporte une douzaine de courses tout au long de la saison et gagne le Championnat de Suède devant Reine Wisell.
1969 sera l’année de la consécration pour Peterson. Il décide de revendre sa voiture pour courir sur un nouveau châssis Tecno équipé d’un moteur préparé toujours chez Novamotor. C’est ainsi qu’il s’aligne au Grand Prix de Monaco F3 réservé aux jeunes espoirs futurs pilotes F1. La concurrence est rude avec notamment les français Depailler, Jabouille et Jaussaud, mais aussi son compatriote Wisell ou Tim Shenken. C’est avec une domination outrageuse qu’il remporte la course en devançant Wisell et Jabouille.
Avec ce résultat, il a marqué les esprits et c’est sans surprise que plusieurs propositions lui sont faites pour courir la saison suivante en F3, F2, et même F1 d’autant plus que d’autres bons résultats se sont accumulés tout au long de la saison.
C’est Alan Rees pour le comte de March qui remporte la mise. Il lui propose un contrat de trois ans avec le statut de 1er pilote et l’assurance de courir en F1, F2 et F3. Même si l’écurie est jeune et manque d’expérience, voir de moyen, Peterson est enthousiasmé par la proposition et s’engage auprès de l’équipe fondée par le quatuor Mosley, Rees, Coaker et Robin Herd l’ingénieur.
Les premières courses font souffler le chaud et le froid. Au volant de la March 693, il termine 3e à Caldwell Park, mais subit un grave accident à Montlhéry où il se retourne après avoir heurté des bottes de paille. Gravement brûlé, il est conduit à l’hôpital à temps et s’en sort sans trop de séquelles.
La jeune écurie, à la recherche de fond engage coup sur coup Chris Amon et Jo Siffert respectivement soutenus par STP et Porsche. Afin de garder le suédois sous le coude et respecter leurs engagements, les dirigeants de March lui trouve une 701 privée pour ses débuts en championnat du monde de F1 sur le difficile circuit de Monaco.
Au bout d’une course régulière, il place sa voiture à une honorable 7e place.
Peterson démontre d’indéniables qualités de pilote qui fait ce qu’il peut avec une machine aux performances loin de celles des écuries de tête. Les moyens d’Antiques Automobiles, le nom de l’écurie, pour rendre sa March 701 performante ne sont pas suffisants pour rivaliser avec les meilleurs. Il doit même renoncer au dernier Grand Prix de la saison faute d’argent.
Pour 1971, March lance la 711 dans le grand bain. Bonne nouvelle, le suédois est nommé premier pilote. Cerise sur le gâteau, il courra également en F2 sur une nouvelle auto la March 712M.
Le début de saison est mi-figue mi-raisin. La voiture est performante, le pilote rapide, voir très rapide, mais il doit faire face à une succession d’ennuis mécaniques qui le prive de la victoire ou du podium. Et quand il ne casse pas, il est victime de sorties de route heureusement sans grave conséquence. Il faut attendre Monaco pour voir, enfin, la March 711 terminer 2e derrière Jackie Stewart et sa Tyrrell.
Le reste de sa saison en F1 sera à l’image de ce premier bon résultat. Il termine 2e à Silverstone et Monza puis 3ème à Watkins Glen. Ajouté à quelques places dans le top 6, il termine vice champion du monde derrière Jackie Stewart, juste devant Cevert et Ickx. Il n’a pas encore gagné, mais personne n’a de doute sur sa capacité à le faire.
D’autant plus qu’en F2, il est sacré Champion d’Europe devant Reuteman et Cevert entre autres. Le tout assorti de 4 victoires au volant de sa March 712.
1972 sera la dernière année avec March pour le suédois. Il étrenne sa nouvelle voiture la 721, mais se rend vite compte qu’il aura du mal à renouveler les résultats de la saison précédente. La voiture est peu fiable et ses qualités de pilote ne suffisent plus pour lutter pour les premières places. Il termine la saison avec 12 petits points à son compteur loin des résultats escomptés. Il est temps de changer d’air. Ce sera fait pour 73 avec son arrivée chez Lotus.
Peterson ne se contente pas de briller en F1, F2 ou F3. Ses résultats en monoplace ont attiré sur lui les yeux de bon nombre de team managers qui lui proposent de venir courir en Sports Prototypes.
C’est d’abord sur une Lola T70 qu’il fait ses premières apparitions.
Il gagne sa première course sur le circuit de Magny-Cours et termine 3ème du GP de Suède sur la T70 du team Bonnier.
Enzo Ferrari lui propose alors de faire équipe avec Derek Bell pour les 24hrs du Mans 1970. Malheureusement, le premier contact avec la 512S de la Scuderia est assez frustrant puisque l’équipage doit abandonner après 4 heures de course.
Il revient alors à la T70 de son ami Joakim Bonnier pour terminer 3ème à Keimola et 4ème à Hockenheim.
On le retrouve l’année suivante principalement sur une Lola T212 de la Scuderia Filipinetti avec laquelle il gagne les 1000 km de Barcelone en compagnie de Bonnier.
Mais c’est sur une Alfa-Romeo T33/3 qu’il obtient sa plus belle victoire de la saison puisqu’il gagne les 6 hrs de Watkins Glen avec De Adamich comme coéquipier. Sa victoire est d’autant plus remarquable qu’il a été le plus rapide des pilotes Alfa, mais surtout, il gagne la course devant 2 Porsche 917K et une Ferrari 512M.
Pour 1972, Ferrari propose au Suédois de disputer le championnat du monde des marques au volant d’une 312PB. Dès la première course en Argentine, il s’impose en compagnie de Tim Shenken après avoir réalisé le pôle. Le reste de la saison sera presque de la même veine puisqu’il termine 7 fois sur le podium dont une nouvelle première place acquise aux 1000 km du Nürburgring avec plus de 4 minutes d’avance sur Merzario également sur 312PB. Inutile de dire que ses résultats permettent à la Scuderia de remporter le titre en fin d’année, seule l’épreuve des 24hrs du Mans, remportée par Matra, ayant empêché Ferrari de réaliser le grand chelem.
Ce seront ses dernières courses dans cette catégorie. Il vient de signer avec Colin Chapman est décide alors de se consacrer entièrement à la Formule 1 même si cela ne l‘empêchera pas de faire quelques courses du championnat DRM et du championnat du monde des marques au volant de BMW CSL, notamment celle décorée par Frank Stella, ou de 320.
C’est avec beaucoup d’espoir et d’enthousiasme que « le grand blond » aborde cette nouvelle saison. Il débarque dans une écurie qui vient de gagner avec la Lotus 72 le championnat du monde constructeurs, mais aussi pilotes avec Emerson Fittipaldi. Colin Chapman avait le suédois en ligne de mire depuis quelques années déjà et seul son contrat avec March l’a empêché d’engager Peterson. C’est donc confiant que ce dernier aborde cette nouvelle saison 73. Le début est encourageant mais frustrant. Il réalise plusieurs pôles positions, mais ne réussit pas à franchir la ligne d’arrivée en tête, souvent dû à des ennuis techniques alors que son coéquipier partage les victoires avec Jackie Stewart. Mais la roue tourne à la mi-saison. Il remporte tout d’abord sa première victoire en F1 au GP de France au Castellet avant de terminer en tête en Autriche, Italie et aux Etats Unis. Ce n’est pas suffisant pour gagner le titre pilote, le début de saison ayant fortement pénalisé le suédois, mais assez pour permettre à Lotus de conserver le titre constructeur devant Tyrrell.
Peterson se pose en favori pour la nouvelle saison. Il a un nouveau coéquipier en la personne de Jacky Ickx, Fittipaldi ayant rejoint l’écurie McLaren. Il débute l’année au volant d’une 72 qui commence à dater malgré des évolutions régulières.
La nouvelle Lotus 76 fait ses débuts au Grand Prix d’Afrique du Sud, mais elle manque de mise au point ce qui nuit à sa fiabilité. Pire, elle semble moins efficace que la 72. Ce constat pousse Chapman à ressortir cette dernière pour le GP de Monaco. Bien lui en prend puisque le suédois signe sa première victoire de l’année. Difficile à mettre au point, la 76 est momentanément écartée et c’est encore avec la « vieille » 72 qu’il remporte le Grand Prix de France.
C’est toujours avec cette même voiture qu’il réussit à gagner à Monza, les deux Ferrari ayant dû abandonner. Malgré une belle course aux Etats-Unis, il ne prend que la 5e place au championnat laissant Fittipaldi remporter une 2e couronne.
Les temps sont difficiles chez Lotus et ce n’est qu’au dernier moment que Chapman réussit à conserver Peterson dans son équipe. La saison 75 ne débute pas très bien pour le pilote suédois puisqu’il faut attendre Monaco pour le voir terminer dans les 6 premiers. Le reste de la saison est du même acabit puisqu’il ne totalise que 6 points au classement final des pilotes.
L’arrivée prochaine de la Lotus 77 et des premiers essais prometteurs le font rester dans l’écurie anglaise pour 1976. Mais dès le premier GP au Brésil, le divorce devient inévitable entre Lotus et Peterson, la 77 ne répondant toujours pas à ses attentes.
C’est chez March qu’il rebondit où il retrouve une équipe qu’il connaît bien. Même si les finances ne permettent pas un développement optimum de la voiture, il réussit à placer sa 761 aux avant-postes. S’il doit régulièrement abandonner, il finit par décrocher une magnifique victoire à Monza où il s’impose devant la Ferrari de Regazzoni et la Matra de Laffite. Il termine le championnat avec 10 points, loin de James Hunt sacré champion.
1977 sera pire encore. Persuadé que le concept développé par Tyrrell d’une voiture à 6 roues à de l’avenir, il s’engage avec l’écurie britannique. Ce ne sera qu’une suite de désillusions. La P34 est trop lourde et cela nuit à son freinage. De plus, ne croyant plus au projet, Goodyear a décidé de ne plus investir dans le développement des gommes spécifiques à la voiture. C’est à Zolder au GP de Belgique qu’il obtient son meilleur résultat avec une 3ème place. C’est peu pour quelqu’un considéré comme un des pilotes les plus rapides présents sur la ligne de départ et en tout cas insuffisant pour quelqu’un qui ambitionne toujours de devenir champion du monde.
Lotus est revenue dans la course et la 78 a permis à son nouveau pilote Mario Andretti de gagner quelques grands prix au cours de la saison qui vient de s’écouler. Un retour du suédois ne serait pas pour déplaire à Chapman. Malgré un contrat le cantonnant à un rôle de pilote, n°2, Peterson accepte. S’acclimatant rapidement à sa voiture à effet de sol, il gagne le 3ème GP de la saison à Kyalami. Il enchaîne les bons résultats jouant à la perfection son rôle de second pilote sans jamais attaquer l’américain pour lui ravir la première place. Il remporte une 2e victoire sur la 79 en Autriche où, sous une pluie battante, il relègue Depailler à 47 secondes.
Arrive alors le Grand Prix d’Italie qui pourrait permettre à Andretti de s’approcher du titre même si rien n’est acquis. Manque de chance pour le suédois, il casse le moteur de sa 79 aux essais et doit se rabattre sur la « vieille » 78, Andretti pas plus que Chapman n’étant prêt à lui proposer la 79 de réserve du pilote n°1.
Alors que l’américain réussit le pôle, le suédois se retrouve sur la 3e ligne avec le 5e temps. Le départ de l’épreuve est donné de façon précipitée par le directeur de course, celui-ci n’attendant pas que toutes les voitures soient immobilisées sur la piste pour agiter son drapeau. Les monoplaces de fond de grille, déjà en mouvement, viennent alors percuter celles des premières lignes qui commencent seulement à rouler. Le carambolage qui en résulte est terrible et les voitures se percutent telle une bille de flipper. Une dizaine de voitures sont impliquées dans l’accident dont la Lotus de Peterson percutée par la McLaren de Hunt. Le feu embrase alors la 78 est s’est un miracle que les pompiers, aidés par quelques pilotes, réussissent à sortir le suédois de sa voiture. Ce ne sont pas les brûlures qui posent problème pour la survie du pilote, mais ses nombreuses blessures aux jambes. Emmené à l’hôpital, il sera démontré que c'est la précipitation des médecins locaux, opérant trop rapidement Peterson, qui sera la cause de son décès qui survient le lendemain.
Un des plus brillants pilotes du championnat disparaît dans cette terrible tragédie. Respecté par tous, il laisse un grand vide. Considéré par beaucoup comme le pilote le plus rapide des années 70, il n’aura jamais réussi à être où il fallait, quand il le fallait pour conquérir un titre que tous les spécialistes lui voyait remporter.
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