Il est fréquent de voir un pilote, sa vie brisée par un grave accident ou simplement rattrapé par l’âge, quitter le sport automobile par manque d’opportunité. Ce ne fut pas le cas pour Tony Brooks qui prit sa « retraite » à 29 ans après 10 ans de carrière simplement parce qu’il lui semblait difficile de continuer dans une discipline où il venait de voir tant de ses amis victimes d’accidents mortels.. Il vient de décédé à l’âge de 90 ans alors qu’il était le plus vieux des pilotes vainqueurs en Formule 1. Retour sur sur sa courte mais brillante carrière.
Tony Brooks est né à Dukenfield dans le comté du Grand Manchester en février 1932. Après avoir tâté de la moto, il se familiarise avec un volant en consuisant la MG TC familiale. Rapidement, l’envie de faire de la compétition le décide à passer au niveau supérieur en faisant acheter à sa mère une Healey Silverstone avec laquelle il va faire ses premières armes sur circuits.
Non sans succès, puisqu’il gagne sa première course en 1952 à Goodwood lors d’une épreuve à handicap. On lui propose alors, en 1953, de courir sur une Frazer Nash Le Mans Replica avec laquelle il obtient de bons résultats comme ses deux victoires acquises à Goodwood et Snetterton.
Ce qui est remarquable, et ce jusqu’à l’obtention de son diplôme de dentiste en 1956, il mènera de front ses études dentaires et ses premiers pas de pilote automobile.
C’est fin 54 que sa carrière va prendre une autre tournure. John Wyer, team manager de l’écurie Aston Martin, lui demande de venir se tester sur une DB3S. L’essai s’avère concluant puisqu’il est engagé par Wyer pour les 24hrs du Mans 1955.
Sa première participation à l’épreuve mancelle se termine par un abandon. Après une 3ème place obtenue aux 9hrs de Goodwood en compagnie de Peter Collins, il ne finit pas au Tourist Trophy.
Cette année va voir aussi l’étudiant en dentaire conduire pour la première fois une monoplace. C’est au volant d’une Connaught B à moteur Alta qu’il fait une très belle course à Aintree avant de gagner le GP de Syracuse en Sicile, devançant pour l’occasion Musso et Villoresi. Pour un premier GP au niveau international, c’est un coup de maître.
1956 voit Brooks s’installer de façon durable chez Aston. Les résultats commencent à venir. Il termine 5ème au Nürburgring, 4ème à Rouen et 2ème à Silverstone. Comme l’année précédente, la chance ne lui sourit pas aux 2Heures du Mans où il abandonne une nouvelle fois.
La fin de saison se termine on ne peut mieux pour lui puisqu’il gagne à Oulton Park et Goodwood.
En parallèle à ses engagements avec la marque de Newport Pagnell, il gagne sur une Cooper T41 à Brands Hatch mais aussi à Oulton Park sur une Mercedes 300 SL engagée par le Walker Racing Team.
Pour ce qui est de la Formule 1, c’est chez BRM que Brooks signe un contrat. Mais c’est une année à oublier pour lui. Le manque de préparation des monoplaces, cumulé à un défaut de conception, ne lui permettent pas d’obtenir les résultats escomptés.
Si en endurance, l’anglais reste chez Aston, c’est sur une Vanwall qu’il va participer au championnat du monde F1 1957.
Avec la DBR1, il gagne aux 1000km du Nürburgring et à Spa mais reste sans réussite au Mans.
En monoplace, il termine 2ème à Monaco derrière Fangio pour le premier GP de la saison. C’est en juillet, au GP d’Angleterre, qui se déroule à Aintree, qu’il obtient sa première victoire. Ou plutôt, demi victoire puisqu’il la partage avec son coéquipier Stirling Moss qui a pris son volant pendant le course. C’est aussi la première victoire pour Tony Vanderwell le patron de Vanwall et la 1ère pour une équipe 100% britannique au championnat du monde de formule 1.
Fort de ses bons résultats, c’est tout naturellement que Brooks continue chez Aston en endurance et Vanwall en F1 pour la saison 58.
L’année est médiocre pour ce qui est de l’endurance malgré une victoire au Tourist Trophy. C’est un nouvel abandon au Mans mais aussi à la Targa Florio où il partage le volant de la DBR1 avec Stirling Moss.
Ce sera beaucoup, beaucoup mieux en F1. Dès le GP de Monaco, Brooks démontre tout son potentiel et celui de sa voiture en décrochant la première pôle position de sa carrière, devançant Behra sur BRM d’une seconde. La course sera moins brillante puisqu’il doit abandonner rapidement.
C’est sur le circuit de Spa-Francorchamps à l’occasion du GP de Belgique qu’il va enfin être récompensé. Après des essais qui voient les Ferrari dominer les Vanwall, il prend rapidement la tête de la course et personne ne pourra le revoir Hawthorn étant incapable, malgré tous ses efforts, de revenir sur lui.
Le reste de la saison sera ponctué par deux nouvelles victoires, à Hockenheim et Monza ce qui lui permet de finir le championnat à la 3ème place derrière Hawthorn, champion du monde, et son coéquipier Stirling Moss. Il contribue fortement à la victoire de Vanwall pour ce qui est du titre constructeurs que l ‘écurie anglaise remporte avec 8 points d’avance sur la Scuderia.
Tony Vandewell ayant décidé, après son titre, de quitter la compétition, Brooks part pour l’Italie et se retrouve au volant d’une Ferrari pour la saison 59. Cette dernière sera la meilleure en monoplace pour le pilote anglais. Elle commence bien pour la nouvelle recrue de l’équipe italienne puisqu’il termine 2ème derrière Jack Brabham. à Monaco. Il va faire beaucoup mieux deux mois plus tard à Reims puisqu’il remporte le GP de France sur sa Ferrari Dino, P Hill assurant le doublé pour la Scuderia.
Au GP d’Allemagne, là où il avait déjà gagné l’année précédente, il s’impose à nouveau, Gurney et Hill assurant un beau triplé pour la marque italienne.
Au classement final du championnat du monde il termine 4 petits points derrière Brabham sacré champion. Quand on sait que Brooks a du courir le GP d’Angleterre au volant de sa vieille Vanwall totalement dépassée par la concurrence, Ferrari n’ayant pu se déplacer en Angleterre suite aux grèves dans l’industrie italienne, on peut imaginer que le titre aurait raisonnablement pu tomber dans son escarcelle sans ce fâcheux contretemps. Mais comme toujours, on ne peut refaire l’histoire et seuls les faits restent.
En endurance, c’est sur une Ferrari 250 TR qu’il court. La saison ne sera pas flamboyante puisqu’il doit abandonner à la Targa Florio avant de finir 3ème au 1000km du Nürburgring et 3ème au TT.
Ferrari persistant à courir avec des voitures à moteur avant, c’est dans une écurie privée, Yeoman Credit, que Tony Brooks trouve refuge. Il faut bien reconnaitre que les résultats seront plus que décevants. Sa voiture est moins performante que celles alignées par l’usine et il ne termine la saison qu’avec 7 points au compteur, ses meilleurs résultats ayant été une 4ème place à Monaco et deux 5ème place à Silverstone et Estoril.
Et ce n’est pas en endurance qu’il va pouvoir se rattraper puisqu’il n’a plus de volant, ou, sans doute, n’a pas cherché à en trouver un. Il faut dire aussi qu’il commence à trouver lourd le tribut payé par les pilotes en course, et qu’il est peut-être temps d’envisager l’avenir sous d’autres cieux.
1961 sera la dernière année pour Tony Brooks au volant d’une Formule 1. Il est de retour chez BRM qui est censé aligner une voiture à moteur V8 pour le premier GP de la saison à Monaco. Mais comme souvent à cette époque, la voiture n’est pas prête et c’est un moteur Climax qui anime l’auto pendant toute la saison. Elle sera dépassée par les Ferrari 156 qui vont dominer le championnat du début à la fin, seule l’écurie Lotus réussissant à tirer son épingle du jeu face aux voitures de la Scuderia. L’anglais termine le championnat avec 6 points, sa dernière course à Watkins Glen lui permettant de monter sur la 3ème marche du podium.
Il décide alors d’arrêter la compétition et se retire définitivement. Pourtant, et contrairement à ce que ses études pouvaient le laisser penser, ce n’est pas comme dentiste qu’il opère sa reconversion mais en prenant la suite de son père en dirigeant une concession automobile. Sans doute la nécessité de ne pas couper tous les ponts avec un milieu qui lui a tant apporté.
Quand on sait que Graham Hill, son coéquipier chez BRM en 61, va remporter le championnat 62 au volant d’une BRM enfin motorisée par le V8 1,5, on peut se dire qu’il s’est peut-être arrêté une année trop tôt. Ou non, si on considère tous les pilotes qu’il aura vu disparaître durant ces dix années consacrées à la compétition.
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