Il est des époques où les choses se passent comme ça : une rencontre au hasard des stands du salon de l’automobile d’Earl’s Court à Londres à l’automne 1952, qui aboutit en une poignée de main entre, d’une part, Donald Healey, patron de l’artisanale Donald Healey Motor Corporation et, d’autre part, « Len » Lord, tout puissant patron d’Austin et la « Healey 100 » présentée ce jour-là change de badge - sans que pourtant le moindre écrit ne scelle l’accord passé - pour devenir l’ « Austin Healey 100 ». Austin (qui deviendra BMC ensuite) produira donc ces Austin Healey dont l’histoire sera pendant 14 ans jalonnée de ce genre d’anecdotes d’un flegme tout britannique...
Donald Healey, c’est la compétition, un esprit aux antipodes de celui d’Austin à ce moment-là. Et le circuit de la Sarthe est l’un de ses terrains de jeu favoris. Afin de contourner les réticences d’Austin vis-à -vis de la course, Donald Healey construit trois voitures et les nomment « special test cars » et quelques mois plus tard NOJ 391, NOJ 392 et NOJ 393 (leur plaque d’immatriculation) se retrouvent au Mans pour disputer la célèbre course d’endurance en étant préalablement venues... par la route : heureuse époque.
Le 12 juin 1953, la vieille du départ, NOJ 391 (numéro 33) et NOJ 392 (numéro 34) passent les vérifications réglementaires tandis que NOJ 393, le mulet, reste tranquillement au château où l’écurie Austin Healey a trouvé domicile le temps du week-end. Ces formalités faites, l’équipe s’en va passer sa veillée d’armes sur les terrasses du Mans avec, heureuse époque vous disais-je, ses deux voitures de courses ! Or, la nuit tombant sur la route du retour vers le château, NOJ 391 est victime d’un refus de priorité de la part d’une camionnette et de son chauffeur passablement imbibé (selon, en tous cas, des souvenirs anglais quelque peu moqueurs sur lesquels nous aurons la courtoisie de ne pas nous attarder...). Toujours est-il que l’auto est sérieusement pliée sur son flanc avant gauche.
Qu’à cela ne tienne, NOJ 393 est tiré de sa somnolence et, à la faveur d’une nuit de travail, est prié d’endosser discrètement l’apparence de NOJ 391... C’est donc le mulet qui, à la barbe de tous, fit la course le lendemain aux mains du Français Marcel Becquart et de l’Anglais Gordon Wilkins. Les plus observateurs noteront qu’en effet quelques détails dissemblables trahissent l’identité réelle des deux voitures. Les plus flagrants étant l’absence de la plaque GB sur la malle arrière de la voiture qui court ainsi que la position nettement plus rapprochée de ses longues portées. Elle finit la course 3e de sa classe et 14e au classement général. (NOJ 392 finit, quant à elle, 2e de classe et 12e au général).
Si les spécialistes de la marque bataillent encore pour savoir combien de temps exactement NOJ 393 est restée immatriculée NOJ 391, son histoire ne s’arrête pas là. Sous sa véritable identité et sensiblement modifiée, NOJ 393 se présente à nouveau, deux ans plus tard, au départ des 24 heures du Mans pour un funeste destin. Le 11 juin 1955, à 18h28, pour regagner rapidement les stands, Mike Hawthorn sur Jaguar coupe la route de l’Austin Healey qui se déporte sur la gauche pour l’éviter. La Mercedes de Pierre Levegh bien plus puissante arrivant à fond de train grimpe sur la l’Austin Healey et s’envole pour finir sa course dans le public. On déplore 81 morts ce jour là, dont Pierre Levegh.
Un article au sujet de cette tragédie est à retrouver ici : https://www.mecanicus.com/news/la-tragedie-des-24-heures-du-mans-1955
Lance Macklin, le pilote de l’Austin Healey s’en sort indemne. L’épave de l’auto disparaît des mémoires jusqu’à ce qu’en 2010 elle réapparaisse, très fatiguée mais non accidentée dans une livrée inhabituelle. Elle s’arrachera à près d’un million d’euros aux enchères et est actuellement restaurée selon sa configuration d’avant le départ du Mans 1955. Un destin bien spécial en somme.
Article écrit par Jean-Charles Regin
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