Alors que la Ferrari 250 GTO empile les victoires, la concurrence se fait de plus en plus sérieuse. Jaguar affine la Type E avec ses Lightweight et ses Lowdrag, quant à l’AC Cobra, Shelby travaille sur une version bien plus performante, notamment sur le point aérodynamique, la Cobra Daytona. Ferrari se doit de riposter, et s’exécute en 1963 avec les 330 GTO et LMB de 4.0 litres, puis en 1964 avec la GTO/64. Malgré tout, la Cobra Daytona domine et l’heure est venue pour Ferrari de proposer une nouvelle arme et retrouver sa suprématie en Grand Tourisme. La tentative vaine de faire homologuer la 250 LM en catégorie GT n’aide pas.
Présentée comme la dite “évolution” de la GTO, elle n’est finalement acceptée qu’en Prototype par la CSI pour des raisons imprécises (son homologation sera finalement accordée par l’Automobile Club d’Italie en 1964). Ferrari s’engage alors dans la réalisation d’une version “compétition” de la 275 GTB, apparue au Salon de Paris 1964. Pour cette 275 destinée à la course, Ferrari part d’une feuille blanche : le châssis est construit à partir de tubes de plus petits diamètres, réduisant ainsi le poids tout en conservant la rigidité. La suspension à double triangulation et la boîte de vitesses montées en un seul bloc avec le différentiel (boîte-pont) sont empruntées à la version de série. Le V12 de 3.0l passe à 3.3l, développant désormais une puissance de 300 ch à 7750 tr/min (exceptionnellement élevée pour la catégorie GT), alimenté par six carburateurs double corps type 40DCN2. Sur le papier, la nouvelle arme de Maranello semble imbattable. Imbattable, oui, mais pas homologable. Le régime drastique que font subir les ingénieurs à la 275 GTB est limite, très limite, trop limite pour les inspecteurs. Son homologation est refusée. Le motif ? Un poids trop inférieur à celui de la version de série... La décision ne plaît pas au Commendatore qui décide, par un communiqué de presse, de bouder le Championnat du Monde des GT. Le froid entre la FIA et Enzo Ferrari mènera finalement à un arrangement à l’amiable : les deux partis se mettent d’accord sur un poids de 980 Kg. Un dénouement heureux pour une auto qui, outre son poids limite, n’a plus grand chose en commun avec celle de série… Quoiqu’il en soit, quatre châssis sont construits. Quatre autos totalement différentes, certainement les conséquences des délais dus à l’homologation tardive.
6885 GT est sans aucun doute la plus importante. Indéniablement, même. Simplement parce qu’elle est la première construite, qu’elle fût la seule à courir en compétition, et (permettez-moi de le dire) parce qu’elle est la plus belle. La - courte - carrière de 6885 GT débute en 1965, en catégorie Prototype donc, durant la Targa Florio. Pilotée par Giampiero Biscaldi et épaulé par Bruno Deserti, elle ne termine pas l’épreuve malgré une prestation convaincante. Elle obtient son premier résultat aux 1000km du Nurburgring, toujours sous les couleurs de la Scuderia Ferrari. Biscaldi et Giancarlo Baghetti termine 13ème au général, engagés en catégorie Prototype de plus de 3.0l.
Après ces deux expériences malchanceuses, 6885 GT est engagée au 24 Heures du Mans, confiée à la très réputée Ecurie Francorchamps. Repeinte dans le jaune typique de l’équipe belge, elle porte le numéro 24 (coïncidence ?). Bonne nouvelle, 6885 est enfin acceptée en catégorie GT. Pilotée par Jean “Beurlys” et le talentueux Willy Mairesse, elle doit assumer une lourde tâche : défendre seule les couleurs de Maranello face aux Cobra. Vous vous en doutez peut-être, mais la Ferrari jaune sera à la hauteur des espérances en GT, et bien au delà au général. Willy Mairesse usera pendant 24 heures de course de son talent, conduisant à la limite. Il poussera la mécanique, tandis que “Beurlys” assurera le reste. Si des problèmes de surchauffe viendront “pimenter” le raid de Mairesse, une solution des plus efficaces, non des plus esthétiques, sera trouvée. Les mécaniciens vont alors découper entre la bouche et le capot un orifice pour alimenter de façon plus efficace le moteur en air.
Pas très orthodoxe, on imagine le pincement au coeur chez Pininfarina en voyant le résultat, mais peu importe, le “bricolage” fonctionnera. Au bout d’une course effrénée, la Ferrari pointe au premier rang de sa classe, en GT. Mieux encore, elle est troisième au général. C’est ainsi qu’elle franchira la ligne. Y aurait-il plus belle manière de rendre hommage à la 250 GTO, sa mère adoptive en quelques sortes ? On a parfois tendance à l’oublier, mais la belle a tenu son rang. Malheureusement, sa carrière sera d’une courte durée. Elle aura tout de même l’occasion de briller aux Etats-Unis, sous les couleurs du N.A.R.T. (North America Racing Team), empochant deux victoires à Nassau (25 Lap Tourist Trophy & 25 Lap Governor’s Trophy).