Les modifications réglementaires, qui comprenaient une limite de cylindrée de 3 litres, ont rendu la Jaguar D-Type pratiquement obsolète pour la saison 1958. L'emblématique Jaguar avait déjà remporté Le Mans trois fois de suite. L'équipe usine s'était déjà retirée de la compétition à la fin de 1956, après avoir remporté les 24 Heures du Mans à quatre reprises au cours de ses six dernières tentatives. En 1957, des équipes privées comme Ecurie Ecosse et Briggs Cunningham ont continué à courir sur la D-Type, la première ajoutant une troisième victoire mancelle au palmarès de l'auto. Certains exemplaires de D-Types ont été équipés de moteurs de 3 litres en 1958, mais la puissance limitée disponible ne faisait que souligner son âge.
Le fondateur de Jaguar, William Lyons, n'avait pas du tout abandonné la D-Type avec son châssis semi-monocoque très moderne. A partir de 1957, il utilisa le département de course aujourd'hui disparu pour transformer la D-Type en une véritable voiture de route pour remplacer la série XK. Le premier prototype 'E-Type' a été construit plus tard dans l'année et présentait des similitudes avec son homologue de course. Il a été surnommé le E1A en référence à son châssis monocoque en aluminium. La plus grande différence résidait dans l'adoption d'une suspension arrière entièrement indépendante, remplaçant l'essieu archaïque utilisé sur la D-Type. Equipée d'une version relativement petite du moteur six cylindres XK, E1A a été largement testée et rarement vu en public.
À l'abri des regards, les ingénieurs de Jaguar ont poursuivi leur travail. Transformer une voiture de course en voiture de série n'était pas simple et le projet a pris un certain temps. Pour des raisons financières et pratiques, il a été décidé que le châssis de la voiture de route devait être construit en acier plutôt qu'en aluminium. Il a fallu encore trois ans avant que le deuxième prototype de type E ne soit construit. Même s'il était équipé d'un châssis semi-monocoque en acier, il fut surnommé E2A. La construction a commencé au début de 1960 et la machine terminée était prête pour les essais en mars. William Lyons estimant que les voitures étaient mieux testées dans des conditions de course, E2A a donc été construite comme une voiture de course et engagée en compétition.
Comme nous l'avons déjà mentionné, le châssis de l'E2A suivait le modèle familier du type D avec une section centrale monocoque et un sous-châssis avant, qui abritait la suspension et le moteur. La différence réside dans l'utilisation de l'acier beaucoup moins cher et plus durable au lieu de l'aluminium plus léger, ainsi que dans l'incorporation d'une suspension arrière entièrement indépendante. Conformément à la réglementation en vigueur, Jaguar a équipé E2A d'un moteur de trois litres entièrement en aluminium. Equipée du système d'injection Lucas très perfectionné, elle développait près de 300 ch. La voiture a été terminée avec une carrosserie en aluminium similaire à celle de la D-Type mais très proche de la forme finale de la E-Type.
Briggs Cunningham, pilote privé et propriétaire d'une écurie éponyme, était un client fidèle de Jaguar de longue date. Il a été chargé d'engager la voiture en course. Cunningham a participé aux 24 Heures du Mans et a envoyé deux des pilotes américains les plus talentueux, Dan Gurney et Walt Hansgen. Arborant les couleurs officielles de Cunningham initiées près d'une décennie plus tôt, E2A s'est avéré rapide dès ses premiers tours de roues. Malgré son châssis de série plus lourd, E2A a réalisé le deuxième temps le plus rapide aux essais libres. Grâce au design efficace de Malcolm Sayer et à la dérive sur l'appuie-tête, elle était certainement l'une des plus rapides dans les Hunaudières. En course, un tuyau d'injecteur fendu a causé des retards dès le début. E2A a finalement abandonné après que le moteur se soit complètement grippé.
Engagée dans le championnat de voiture de sport nord américain, E2A fut équipée d'un moteur de type D plus puissant. Une fois aux Etats-Unis, Hansgen remporte immédiatement une victoire dans une course mineure à Bridgehampton. Il s'en est fallu de peu pour qu'il batte la concurrence bien plus relevée des 500 miles de Road America, mais il a finalement dû se contenter de la deuxième place. Pour le prestigieux Grand Prix du Los Angeles Times à Riverside, Cunningham a fait appel au nouveau champion du monde de Formule 1 Jack Brabham. Il a eu du mal à suivre le rythme des petites "Speciales" légères et a fini 10e. Son coéquipier Bruce McLaren s'est vu remettre l'E2A pour le Grand Prix de Laguna Seca. En proie à de petits problèmes, il n'a pu faire mieux que 12e dans l'une des deux manches.
À la fin de la saison 1960, E2A a été renvoyé à l'usine Jaguar en Angleterre et a été retiré des courses. Quelques mois plus tard, la production finale E-Type fut dévoilée au Salon de l'auto de Genève 1961. L'introduction de la voiture de série a permis à E2A de devenir un laboratoire. Elle a d'abord été utilisé pour tester le système de freinage antiblocage Maxaret de Dunlop. Après avoir été stockée pendant plusieurs années, E2A a été utilisée une fois de plus comme leurre. Pour détourner l'attention des médias sur le nouveau XJ13 à moteur central, E2A a été testée publiquement. Pour cela, la dérive fut enlevée et la voiture peinte en British Racing Green, après quoi elle devait être détruite.
Heureusement, Roger Woodley, directeur de la concurrence automobile chez Jaguar, est intervenu. Il avait récemment épousé Penny Griffiths, qui, avec son père Guy, avait réuni une impressionnante collection de Jaguars importantes, qui étaient exposées Camden Car Collection. Après beaucoup de persuasion, Jaguar a décidé de vendre E2A à la condition qu'il ne soit jamais engagée en course. Avant la livraison, la voiture a été repeinte aux couleurs de l'écurie Cunningham. Elle n'a en revanche pas retrouvé sa dérive ou son moteur à injection de 3 litres. Peu de temps après, Griffiths a reçu un moteur 3,8 litres de type D, permettant à E2A d'être de nouveau opérationnelle. La famille a finalement réussi à obtenir un six cylindres en aluminium, sans pour autant le monter dans l'auto.
Pour honorer l'accord avec Jaguar, E2A n'a jamais été engagée, bien qu'il ait fait plusieurs apparitions publiques dans les mains de Penny Griffiths. Elle a ramené la voiture au Mans et a également participé aux Goodwood Festival of Speed et Revival. Après plus de quarante ans de possession, elle a décidé de se séparer de ce bien si précieux. E2A a été offerte aux enchères chez Bonhams en août 2008. Des prix allant jusqu'à 7 millions de dollars étaient attendus avant la vente aux enchères, mais le propriétaire de longue date était heureux de la céder pour 4,5 millions de dollars, un record mondial pour une Jaguar vendue aux enchères. Le nouveau propriétaire, un important collectionneur autrichien de Jaguar, a soigneusement préparé E2A pour la compétition et l'a engagé au Mans Classic 2010 pour le 50e anniversaire de sa première apparition sur le circuit de la Sarthe. Depuis, elle est régulièrement engagée dans diverses compétitions historiques, notamment au Goodwood Revival.